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DU
7 20
MON VOYAGE D'ENQUETE
EN NOUVELLE-CALÉDONIE
MON VOYAGE D'ENQUETE
EN NOUVELLE-CALÉDONIE
CAHOUS, IMPRIMERIE TYPOGRAPHIQUE A. COUESLANT
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
DE PARIS
MON VOYAGE D'ENQUETE
EN
NOUVELLE-CALÉDONIE
Août-Septembre 1899
PAR
Ph. DELORD
PASTEUR-MISSIONNAinE A MARE
■5*W
PARIS
MAISON DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
102, boulevard Arago, 102
1901
Tous droits réservés
INTRODUCTION HISTORIQUE
Les pages qu'on va lire placent sur là cons-r
cience des protestants français un devoir urgent,
celui d'envoyer un de leurs jeunes pasteurs comme
missionnaire en Nouvelle-Calédonie.
Ce devoir n'est pas nouveau pour les lecteurs du
Journal des Missions. Mais les notes de voyage de
M. Ph. Delord le mettent en très vive lumière.
Peut-être n'est-il pas inutile de les faire précéder
de quelques renseignements géographiques et his-
toriques, qui aideront à en mieux comprendre la
portée.
La Nouvelle-Calédonie, la « France des Antipo-
des», comme on l'appelait récemment, s'étend,
sur cent lieues de longueur et sur une largueur
moyenne de 60 kilomètres, en travers du Pacifi-
que, du Sud-Est au Nord-Ouest. Pour les indigè-
10
EN NOUVELLE-CALEDONIE
nés des îles qui en dépendent, c'est la Grande
Terre, presque un petit continent.
A moins de 100 kilomètres au large, vers le
Nord-Est, un archipel de médiocre importance,
orienté dans la même direction, barre la route au
navigateur. Ce sont les Loyalty, îles constituées
par de hauts rochers de calcaire madréporique,
qui s'élèvent à une centaine de mètres, au plus,
au-dessus du niveau de la mer. Au pied du rocher,
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 11
une étroite bande de terrain fertile forme le ri
yage. Des cocotiers y croissent et c'est là que se
dressent les huttes des indigènes. 11 faut retenir
les noms de trois de ces îles, les seules qui aient
quelque importance : Mare, Lifou et Ouvéa.
Poursuivons notre route, et, à 200 ou 300 kilo-
mètres au delà des Loyalty, nous rencontrerons
les îles les plus méridionales d'un nouvel archipel,
beaucoup plus considérable que le précédent. Ce
sont les Nouvelles-Hébrides : quatorze grandes
îles, à peu près autant de petites et un grand
nombre d'îlots, le tout formant une chaîne de près
de mille kilomètres, toujours avec la même
orientation générale. Les deux plus grandes de
ces terres sont, vers le Nord-Ouest du groupe, l'île
du Saint-Esprit et l'île Malicolo.
Cette région du globe était encore entièrement
païenne, lorsque, en 1841, le John Williams,
navire de la Société des Missions de Londres, dé-
barqua à Mare deux missionnaires indigènes, ori-
ginaires des Samoa. L'œuvre de ces pionniers de
l'Evangile se développa lentement. Elle fut cepen-
dant assez bénie pour qu'en 1854, la Société de
Londres jugeât nécessaire d'envoyer deux mis-
12
EN NOUVELLE-CALEDONIE
sionnaires à Mare, les révérends Creagh et J.
Jones.
Telle fut l'origine de la mission des Loyalty.
LA CORSE
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1
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EN NOUVELLE-CALÉDONIE 13
Dès 1853, la France avait planté son drapeau sur
le sol de la Nouvelle-Calédonie. L'acte de prise de
possession mentionnait aussi les dépendances de
cette île ; mais, de fait, plus de dix années s'écou-
lèrent avant que les autorités parussent songer aux
Loyalty. Pendant ce temps, la Société de Londres
y poursuivait son œuvre d'évangélisation et de ci-
vilisation. En 1859, l'île de Lifou était pourvue
par elle d'un missionnaire, le révérend Macfar-
lane, auquel s'adjoignait bientôt après le révérend
Sleigh; peu après, Ouvéa avait son tour dans la
personne du révérend Ella.
C'est seulement en 1864 que le gouverneur de
la Nouvelle-Calédonie vint à Mare, a bord d'un
navire de guerre, affirma les droits de la France
sur l'île et informa les missionnaires que ceux
dont ils avaient usé jusque-là n'avaient pas d'autre
valeur qu'une simple tolérance.
Deux mois après cette visite, un navire de guerre
français débarquait à Mare deux missionnaires
catholiques. Ce fut le départ de différends sans
fin et de conflits dont nous n'avons pas à retra-
cer ici la douloureuse histoire 1 .
1 Ces faits et ceux qui suivirent ont été résumés par M. A.
Bœgner en trois articles parus dans le Journal des Missions de
14 EN NOUVELLE-CALEDONIE
A la fin de Tannée 1883, le gouvernement de la
colonie installe à Mare un pasteur français M. Cru,
et, le 10 décembre 1887, le missionnaire J. Jones,
l'un des civilisateurs de l'archipel des Loyalty,
est expulsé. Son départ marque la fin de l'acti-
vité anglaise ii Mare.
I /envoi de M. Cru dans cette île avait pour but,
dans la pensée du gouvernement, de mettre un
terme aux divisions politiques du pays, résultat
de* agissements des missionnaires catholiques, et
vie réconcilier la population indigène avec l'in-
fluence iVituviiise. Cette mission échoua. Un nou-
veau McluMine se greffa sur les anciennes querelles
et M. Cru lut rappelé en 1890.
Le US mari* 185)1, le gouvernement notifiait à la
Société de» Mission» la vacance du poste de Mare
cl esprinutit le désir qu'elle y envoyât un de ses
a^eiit*.
la Société suivait de très près les affaires des
hiyiilly, dcpui» qu'en janvier 1883, M. l'amiral
iMMlo^niheirv» alors ministre de la marine, avait
VOtllMUO d'elle, par l'entremise du Consistoire ré-
ItMtlM. »"«»'■ »»* «Mil iNtl'J. mou» c* litre : Marc, un nouveau
. 4u"</< { tï I'hi'iiiI ito /♦♦ .WiV/» 1 «/«** Mutions.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 15
formé de Paris, l'envoi d'un pasteur français a
Mare. Mais la nomination directe de M. Cru par
le gouvernement avait eu pour conséquence d'a-
journer son intervention.
Elle se mit donc à la recherche d'un mission-
naire pour les Loyalty. Cependant M. le pasteur
Lengereau, aumônier à Nouméa, avait l'occasion
d'intervenir, à la demande du gouverneur de
la Nouvelle-Calédonie, dans les affaires de Mare.
Il fut assez heureux pour amener une détente
dans les esprits. Ce résultat parut si satis-
faisant que le gouverneur demanda à son fils,
lVf. le pasteur Edmond Lengereau, d'accepter, à
titre provisoire, le poste de Mare et d'y continuer
l'œuvre de pacification commencée par son père.
M. Edm. Lengereau fut ainsi pasteur officiel
à Mare. En même temps, la Société des Missions
s'empressa de le reconnaître comme un de ses
propres missionnaires.
En septembre 1893, M. Lengereau dut quitter
son poste pour se rendre en France. Il se décida
à y rester et accepta, en 1895, le poste de pasteur
à Toulouse, qu'il occupe encore aujourd'hui. Avant
même qu'il eût pris cette résolution, le gouverne-
ment avait remplacé le pasteur officiel de Mare,
i6 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
dans ses fonctions de directeur des écoles, par
un instituteur de carrière. Il avait fait choix, pour
ce poste, de M. Rousseau, ancien instituteur protes-
tant et évangéliste en France. Celui-ci s'embarqua
pour Mare, avec sa femme, le 3 octobre 1894.
La Société des Missions restait donc seule res-
ponsable des Eglises de Mare et libre de désigner
le successeur de M. Lengereau, dont le ministère
dévoué et courageux méritait la plus grande re-
connaissance et laissait derrière lui les plus vifs
regrets.
Malgré des appels souvent répétés, c'est seule-
ment en 1897 que la Société put envoyer un mis-
sionnaire à Mare, dans la personne de M. Philadel-
phe Delord, pasteur de l'église libre de Marseille,
qui prit congé du Comité, le 15 octobre, et s'em-
barqua à Marseille, avec madame Delord, leur
enfant et une jeune aide chrétienne, le 5 décembre
1897. Il débarquait à Mare le 27 janvier 1898,
après avoir passé quelques jours à Nouméa, chez
M. Lengereau.
Dès ce premier séjour à Nouméa, M. Delord
entendit parler de l'œuvre accomplie en Nouvelle-
Calédonie par les nalas, ou évangélistes indigènes,
des Loyalty. C'est un sujet dont M. Lengereau
I-IV
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 19
était depuis longtemps préoccupé. Il en avait sou-
vent écrit au directeur de la Société des Missions.
Deux mois auparavant, il était allé lui-même visi-
ter une partie du champ de travail défriché par ces
natas, sur la côte orientale de l'île. Il faut donc ici
revenir en arrière, et, comme nous avons raconté
les origines de la mission des Loyalty, rechercher
celles de Tévangélisation de la Grande-Terre.
Ces origines sont d'ailleurs les mêmes. Vers
1840, le John Williams dépose quelques catéchis-
tes polynésiens en Nouvelle-Calédonie et, pendant
quelques années, les visite régulièrement. Mais ces
premiers apôtres sont mis à mort par les farou-
ches Canaques. Plus tard, ce sont des prêtres ca-
tholiques qu'un vaisseau de guerre français débar-
que à son tour, et qui préparent la prise de pos-,
session par la France, en 1853. Dès lors, la
Nouvelle-Calédonie était fermée à tout missionnaire
étranger à la France.
La prédication de l'Evangile devait cependant
s'y continuer, très discrètement, dans quelques
centres, grâce aux relations constantes de la
Grande-Terre avec les îles Loyalty. Les indigènes
de ces îles appartiennent à une race notablement
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 21
gouverneur, M. Feillet, — l'administration avait
reconnu l'inanité des griefs articulés à l'instigation
des prêtres de Rome, contre ceux qu'on s'obstine,
pour les mieux compromettre, à désigner d'une
appellation anglaise, les teachers des Loyal ty. Et,
bien loin de s'opposer à leur activité, elle l'avait,
dans une certaine mesure, favorisée.
Ainsi, a la fin de l'année 1896, alors que M.
Lengereau père, se trouvait parmi nous, en séjour
de congé, deux Canaques de Houaïlou arrivent un
jour h Nouméa. Ils se présentent h la maison du
pasteur comme les délégués de 250 indigènes qui
veulent être protestants. Ils ont, disent-ils, bâti
deux temples ; ils ont prié pour avoir un mission-
naire ; mais leurs amis leur ont dit qu'il ne suffi-
sait peut-être pas de prier, qu'il fallait agir. Ils se
sont alors rendus au chef-lieu pour communiquer
leur désir au pasteur français. La famille de M.
Lengereau, en l'absence de son chef, envoie ces
deux délégués à l'administrateur en chef des affai-
res indigènes, M. Moriceau, qui les autorise a se
rendre gratuitement, sur le Ne-Oblie, a Lifou, et
leur donne une lettre de recommandation pour le
missionnaire de cette île, M. Hadfield. Par cette
lettre, l'administrateur prie le missionnaire d'en-
2
22 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
voyer, si possible, à Houaïlou un catéchiste sachant
le français.
M. Lengereau, recevant en France la nouvelle
de cette démarche, se hâte d'en informer la Société
des Missions. « Que répondre à ce nouvel appel ?
écrit-il, le 3 mars 1897, au directeur. Je sais vos
difficultés en hommes et en argent et vos immen-
ses besoins d'autre part. Mais, cependant, ne pour-
rait-on pas envoyer à ces pauvres gens quelques
miettes, ne serait-ce qu'une seule? Il me semble
que vous pourriez placer quelqu'un à Houaïlou,
qui s'occuperait des indigènes et pourvoirait en
môme temps aux besoins religieux de nombre de
colons protestants, disséminés dans cette partie de
l'ile biirlout. »
|,a Société des Missions, qui, à cette époque,
cltenrltait encore en vain un missionnaire pour
Mare et qui voyait s'ouvrir devant elle le champ
iiuuHuibtï de Madagascar, n'avait pas d'ouvrier dis-
ponible pour Houaïlou.
|)n moins les missionnaires des Loyalty purent-
jU <:nw*yer quelques natas sur la Grande-Terre et,
quand M. I.engereau revint à Nouméa, à la fin de
juillet I#j7, il apprit avec joie que ces catéchistes
étaient déjà à l'œuvre. Mais, en même temps, il
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 23
apprit aussi que les « bons pères » remuaient ciel
et terre pour s'opposer à cette concurrence, la
présentant comme une œuvre anglaise qui tendait
à pousser les indigènes à la révolte contre les
autorités françaises. D'odieuses dénonciations
allaient jusqu'à parler d'un complot fomenté par
les natas, et tendant au massacre des français ca-
tholiques par une des tribus évangélisées.
« En présence de cet état de choses, écrivait
M. Lengereau, le 30 août 1897, il me semble que
nous devons tout faire pour protéger nos coreli-
gionnaires et ceux qui s'adressent à nous pour ap-
prendre à connaître la vérité qui est selon la sain-
teté. De nouveau je viens donc vous dire : Envoyez
quelqu'un pour prendre en main la cause de ces
pauvres gens. Monsieur le gouverneur, qui prend
intérêt à ces sympathiques populations, est per-
suadé que la présence d'un pasteur français ferait
rentrer dans l'ombre ces misérables calomniateurs,
ou, tout au moins, pourrait déjouer leurs ruses et
leurs pièges diaboliques.
Cette lettre arriva à Paris comme M. Delord
s'apprêtait à partir pour les Loyalty. Le mois sui-
vant, nouveaux détails, plus encourageants encore,
sur le travail des natas en Calédonie. Non seule-
24 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
ment l'appel des indigènes de Houaïlou et de Ca-
nala a été entendu des chrétiens de Lifou et d'Ou-
véa, qui ont envoyé deux ou trois de leurs natas,
mais encore les Eglises de Mare, émues à jalousie,
sont entrées dans la même voie.
« Après avoir fait passer différentes provisions
aux pauvres lépreux, leurs compatriotes, internés
aux îles Bélep, les messagers des Eglises de Mare
ont cherché à être utiles aux indigènes de la
Grande Terre. Deux natas se sont établis dans la
tribu de Koumac voilà plus d'un mois, — la lettre
de M. Lengereau qui renferme ces détails est du
8 septembre 1897 — et six autres évangélistes,
choisis parmi les natas de Mare, vont incessam-
ment arriver à Nouméa, se rendant vers d'autres
tribus. C'est donc, en tout, huit serviteurs de Dieu
qui vont travailler à l'évangélisation des indigènes
de la Nouvelle-Calédonie. Tout cela a été spontané
et s'est décidé pendant que j'étais en France.
» Ces huit évangélistes sont ainsi répartis :
» Les natas Ouède et Washitine, à Koumac ;
» Le nata Drap et son aide, Waïa, à Voh;
» Le catéchiste Waziarim, à Koné;
» Le nata Jaihi, à Ouaco;
» Les natas Sètine et Nidoïch, à Gomen. »
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 25
La même année, l'un des directeurs de la Sociétéde
Londres, M. R. Wardlaw Thompson visitait, sur le
John Williams, les stations de cette Société éta-
blies dans lesmersduSud.il écrivait, au cours de
cette tournée, au directeur de la Société de Paris,
insistant sur la nécessité d'envoyer le plus tôt pos-
sible un missionnaire français à Mare, et expri-
mant ses préoccupations pour Ouvéa, où les intri-
gues des Maristes menaçaient l'œuvre des prédi-
cateurs évangéliques. Puis il ajoutait ces lignes,
qui furent publiées dans le Journal des Mis-
sions^ :
« Mon cœur est plein de reconnaissance envers
Dieu pour les bonnes nouvelles que j'ai reçues de
l'œuvre de grâce commencée parmi les indigènes
de la Nouvelle-Calédonie par des indigènes de
Lifou et d'Ouvéa. Des chrétiens de ces îles ont été
prêcher l'Evangile sur la Grande-Terre. Leurs
amis, et particulièrement les Sociétés d'activité
chrétienne récemment fondées, les ont aidés et
leur travail a déjà eu des résultats. Mais il y fau-
drait la surintendance d'un missionnaire euro-
péen. Nous avons longtemps attendu et espéré ce
» Livraison d'octobre 1897, p. 609-610.
26 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
moment où les âmes semblent s'ouvrir à l'Evan-
gile, et maintenant ce champ de travail, destiné
par son étendue et son importance a être Tune des
plus grandes et des plus intéressantes missions
du Pacifique, doit nécessairement revenir à une
Société française. La Nouvelle-Calédonie regarde à
vous avec ardeur: les protestants français ne feront-
ils rien pour elle? »
En attendant l'intervention d'un missionnaire
blanc, les natas des Loyalty accomplissaient parmi
les Canaques calédoniens une œuvre pour laquelle
le terrain était préparé et se montra promptement
fertile. M. Lengereau, qui avait dû assumer la
responsabilité de leur travail vis-à-vis de l'admi-
nistration, sentit le besoin d'aller lui-même se
rendre compte des choses. En novembre 1897, il
suspend son activité a Nouméa, confie à sa fille
les soixante élèves de son école du dimanche et
s'embarque pour Houaïlou, où il arrive après trois
jours de navigation.
En route, il recueille déjà de précieux témoi-
gnages sur les résultats de l'évangélisation des
Canaques. Le plus frappant de ces résultats, c'est
le retour à la sobriété de populations jusque-là dé-
cimées'par l'ivrognerie. «C'est miraculeux,)) lui dit
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 27
un de ses compagnons de voyage, un ingénieur,
catholique de naissance et libre-penseur de con-
viction qui connaît les indigènes depuis plus
de quinze ans. En effet, à Houaïlou, un com-
merçant, habitant le pays depuis une trentaine
d'années, répétait à notre frère : « Les Canaques
n'achètent plus de rhum. » Et le commandant du
poste militaire et de la gendarmerie déclarait que
la prédication de l'Evangile avait amené dans ces
tribus « un changement extraordinaire. »
A cette époque, outre les huit natas maréens
déjà énumérés, et qui travaillaient sur la côte
occidentale, huit autres natas de Lifou ou d'Ouvéa
étaient à l'œuvre sur la côte orientale, dans les
centres de Nakéty, Canala et Houaïlou. Ce sont
exclusivement ceux-ci que visita M. Lengereau.
A Houaïlou même, plus de quinze tribus avaient
déjà adhéré au protestantisme. Plus de 250 en-
fants avaient été présentés au baptême par leurs
parents et plus de 150 adultes avaient reçu ce
sacrement sur leur demande personnelle.
Telle était donc la sitation lorsque M. Delord
arriva aux Loyalty. Il y entendit souvent parler du
travail des natas en Calédonie. Le premier rapport
2& KS XOUVELLE-CALÉDOXIE
annuel cju % il adressa à la Société de Paris, le
i> janvier 18^9 l > faisait à cette question une place
importante :
a J*e veux maintenant, écrivait M. Delord, vous
parler de ce qui a été mon cauchemar, de ce qui
demeure devant moi comme un grand point d'in-
terrogation : Tieuvre de misssion commencée en
Nouvelle-Calédonie par les Eglises des Loyalty.
>» Longtemps la porte a été fermée h toute évan-
^elUaùou des Canaques de la -Nouvelle-Calédonie :
uKiuwùs vouloir ou hostilité des autorités, état trou-
ble des tribus indigènes, tout cela s'opposait à l'E-
v^ugilo. Kh\ aujourd'hui, tout cela a disparu, et
même le cri du Macédonien a retenti, plusieurs
ùm* répète...
* Sun* mUsiouuaire, sans guide, sans con-
gédier, uvee une toi enfautine, nos pauvres Egli- .
*ev *i ftùlde* déjà elles-mêmes, nos chères Egli-
se.* ont pri* de leurs enfants — quelques jeunes
VWM* vl l°* ou * ^^wnés. Et eux sont partis,
3%«U* lmM'*t\ *<tu* traitement, les yeux fixés sur
vVWv v w V*r<Utdo terre », atin de u porter la re-
^^u « \ l tf\m t ils agissaient de même; à Ouvéa
* V- t*-\l» 1 \*m*4»M \U» v\» r«*|»iH*rt « été publié dans le Journal
I
I
V
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 31
également. L'un prenait à droite, l'autre prenait a
gauche; l'un s'occupait des enfants, un autre des
adultes. Et maintenant, si je regarde une carte de
la Calédonie, je les vois, ces pionniers de l'Evan-
gile, former deux chaînes parallèles, qui mar-
chent, gagnent du terrain : Mare sur la côte Ouest,
Lifou et Ouyéa sur la côte Est.
» Cela prend le cœur; il y a là quelque chose de
si saintement héroïque, de si grand dans sa simpli-
cité qu'on se sent saisi de respect pour ces « pau-
vres Canaques » dans le cœur desquels l'Evangile
produit de tels fruits. Quel reproche pour les
chrétiens qui marchandent leur affection à la
cause des missions! La France a envoyé à ces peu-
plades de l'alcool et des forçats; mais voici, vers la
onzième heure, alors que, abrutis d'eau-de-vie et
souillés par la luxure des libérés, ils allaient dis-
paraître, leurs frères des Loyalty vont vers eux,
portant la lumière de l'Evangile.
» Mais, vous le comprenez, le sacrifice de nos
natas doit amener le sacrifice d'un missionnaire.
Ils ne peuvent pas rester seuls. Ils le pourraient,
au besoin, s'ils n'avaient pas l'hostilité du blanc,
les tracasseries de tels ou tels fonctionnaires. Ils
ont besoin d'un guide, ils ont besoin d'un avocat
32 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
défenseur. Et voilà pourquoi cette œuvre pèse sur
mon cœur comme un cauchemar.
» Mais que puis-je faire d'ici ? Ecrire, c'est trop
peu, c'est surtout très irrégulier; nous n'avons
que de rares occasions pour l'envoi des lettres en
Calédonie. J'avais voulu essayer d'une tournée
d'inspection : il eût fallu trois mois et des frais
considérables. Je n'ai pas osé. Et pourtant, on
nous écrivait : « Envoyez des natas », et j'en ai
envoyé encore. J'ai pris trois de mes meilleurs et
je les ai expédiés au commencement de décem-
bre. Prochainement encore, un autre doit partir.
» Les lettres de nos natas sont encourageantes
pour la plupart; quelques-unes portent la note de
la tristesse ; leur ministère est entravé par l'hosti-
lité de tel ou tel colon, ami des ténèbres. »
Dans une lettre jointe a son rapport et publiée
également dans le Journal des Missions *, M. De-
lord revient sur la question du missionnaire indis-
pensable pour la Nouvelle-Calédonie :
« Pensez à notre pauvre isolée, à la grande
abandonnée : à la Nouvelle-Calédonie. Souvenez-
1 Même livraison, p. 311-318, sous ce titre : Scènes et tableaux
de la vie maréenne.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 33
vous que c'est la dernière heure. Les Canaques
étaient 100,000 ; ils ne sont plus que 25,000. Des
chrétiens indigènes se sont déjà donnés pour
eux : 25 natas et catéchistes des Loyalty travaillent
maintenant au milieu d'eux ; mais quel est celui
qui marchera a leur tête ?
« Ici, il arrive parfois que, caché sous l'apathie
indigène, un désir germe et grandit dans le cœur
d'un homme. Cet homme reste calme, indifférent
en apparence ; il garde son secret ; les émotions
intimes ne plissent ni ses lèvres, ni son front. Mais,
un jour, il se lève et dit sa volonté. Pour nos indi-
gènes, « dire sa volonté » c'est toujours se consa-
crer publiquement à Dieu, en vue d'un travail
pour l'Eglise.
« Et pour la Calédonie, qui « dira sa volonté ? »
Oh ! que Dieu donne l'homme et que celui-ci se
donne! Ici encore, si l'homme vient de Dieu, les
ressources se trouveront aussi ».
Cette lettre a un post-scriptum, qu'il faut relire:
M are y 8 janvier.
« Voici le résumé d'une lettre que je reçois à
l'instant. Elle est écrite par le nata Drap, de Voh,
côte Ouest de la Nouvelle-Calédonie.
34
EN NOUVELLE-CALEDONIE
(( Les natas et catéchistes de la côte Ouest se
sont réunis a Koné en Conférence, le 24 décembre.
« 1° Rapports et entretiens sur leurs œuvres et
les résultats ;
« 2° Décidé la construction de deux temples, l'un
a Koné, l'autre a Voh ;
« 3° Décidé d'avancer, en pleine brousse, a la
recherche de nouvelles tribus ;
« 4° Demande d'un missionnaire à la Société de
Paris ;
« 5° Création d'une caisse commune entre les
natas pour centraliser tous les dons reçus et pour-
voir aux dépenses ;
« 6° Question étudiée : quelques tribus reçoivent
l'Evangile, écoutent la parole des natas ; mais
beaucoup d'indigènes manquent totalement de vête-
ments : que faire ? Une femme de nata a déchiré
sa robe et en a fait des « manous » pour eux.
Transmettre aux Eglises des Loyalty ce fait, afin
qu'il y soit pourvu ;
« 7° Demandé quelques Bibles en maréen, quel-
ques brochures et des Bibles en français.
« Fait intéressant : ils étaient réunis à Koné au
moment de la grande fête de la tribu, aux jours du
« pilou-pilou ». Mais voici qu'on leur a donné la
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 35
présidence, et la fête a changé de caractère. Les
indigènes aussitôt ont pris des vêtements, les chants
religieux ont remplacé les folies d'autrefois. Les
natas ajoutent, dans leur ravissement : C'était comme
notre « May » de Mare.
« Mais la note triste reparait : l'hostilité de
quelques blancs, sourde au début, se manifeste
plus ouvertement. On dit aux Canaques : « Ne
recevez pas leur religion ; ils sont Canaques
comme vous. Leur religion ne vaut rien : c'est la
religion des blancs qui est la bonne ». Puis l'al-
cool ruine ce peuple. C'est le dieu de la plupart
des membres de la tribu.
« Le terrain est dur, extrêmement dur. Mais,
heureux de ces quelques jours passés ensemble, les
natas et catéchistes repartaient, le 27, pour leurs
divers champs de travail.
« Telle est la lettre reçue aujourd'hui. Elle m'a
ému par son réalisme, comme un instantané pho-
tographique.
« Braves gens, luttant simplement pour l'Evan-
gile, sans préoccupation d'intérêt ou de vanité per-
sonnelle î Oh ! quand recevront-ils leur mission-
naire ? »
La Société des Missions, bien qu'écrasée à cette
36 EX NOUVELLE-CALÉDONIE
époque par des charges diverses et privée de la
présence de son directeur, qui se trouvait malade
au sud de l'Afrique, n'hésita pas à placer sur la
conscience des chrétiens de France ce nouvel appel :
« Voila, disions-nous aux lecteurs du Journal
des Missions ! , voilà une terre française où vivent
25,000 païens. Des portes nous y sont ouvertes ; la
voie est frayée par le travail humble mais déjà
béni des natas des Loyalty. On nous appelle, on
nous attend. Quelle que soit la dépense totale, les
indigènes, qui sont pauvres, mais zélés pour l'évan-
gélisation, en supporteront un peu plus de la moi-
tié. Pouvons-nous nous dérober ? L'apôtre de la
Nouvelle-Calédonie ne se lèvera-t-il pas parmi
nous ? Et alors le Comité ne devra-t-il pas l'en-
vover ? »
On a pu remarquer ces lignes du rapport de
M. Delord : « J'avais voulu essayer une tournée
d'inspection : il eût fallu trois mois et des frais
considérables. Je n'ai pas osé ». Le Comité, n'ayant
personne à envoyer de France, et ne voulant pas
(railleurs s'engager à la légère dans une œuvre
nouvelle, crut devoir encourager le missionnaire
1 M»'iiie livraison. Que fera la Société des Missions ?, p. 319-321.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 37
de Mare à exécuter le dessein dont il avouait avoir
eu lui-même la pensée. Dans sa séance du 8 mai
1899, il prit la résolution suivante :
« Quant à l'envoi d'un missionnaire en Nouvelle-
Calédonie, le Comité, considérant qu'il s'agit d'une
nouvelle mission à fonder, estime qu'il y a lieu de
faire une enquête sur les conditions exactes dans
lesquelles pourrait être établie cette mission, et
décide que M. Delord sera chargé d'aller passer
quelques semaines sur les lieux et de lui présenter
un rapport à ce sujet. »
Nous écrivîmes donc, le 20 mai, a M. Delot'd :
« Ne pourriez-vous pas aller vous-même passer
un mois ou deux en Nouvelle-Calédonie, voir
l'œuvre des natas et rédiger un rapport dans lequel
vous feriez ressortir les caractères de cette œuvre,
ses besoins, en indiquant où le missionnaire pour-
rait résider, en quoi consisterait au juste son
activité? Le Comité dans sa dernière séance, a
exprimé l'avis que vous devriez vous rendre ainsi
sur les lieux, pour un voyage d'études et de pré-
paration. Il nous semble a tous que ce serait excel-
lent... Nous vous donnons toute liberté de choi-
sir le moment, mais nous vous demandons de
mettre, à moins d'impossibilité absolue, ce projet
3
38 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
à exécution. Et que Dieu bénisse votre voyage ! »
Cette lettre arrive en juillet à Mare, M. Delord
ne perd pas de temps : il prépare son expédition
et, dès le 10 août, il quitte son presbytère de Rô.
Le volume qu'on va lire renferme, jour par jour,
ses notes de voyage, à partir de cette date.
L'empressement que le missionnaire des Loyalty
mit à se rendre sur la Grande-Terre ne prouve pas
seulement sa déférence pour les désirs du Comité.
Il montre aussi l'intérêt puissant que lui inspirait
d'avance l'œuvre qu'il était appelé à inspecter.
Presque toutes ses lettres en faisaient mention.
Citons encore ces lignes d'une lettre du 8 mars
1899, publiée dans le Journal des Missions du
mois de juin * :
« Dois-je vous dire combien est urgent l'envoi
d'un missionnaire en Nouvelle-Calédonie? J'ai là
sous la main les dernières nouvelles de cette œuvre,
plusieurs lettres de natas.
« L'un d'eux vient de perdre, en une semaine, et
sa femme et son fils unique. Pauvre jeune nata !
Je lui ai écrit : « Viens passer quelques temps
i P. 51'*.
I
c
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 41
parmi nous, tu te reposeras et nous essairons de
te consoler. »
« Un autre m'écrit : « Nos vêtements sont usés ;
que faire ! Devons-nous revenir ? Qui prendra soin
de nous ? »
« Un autre, enfin, m'écrit que quatre petites
tribus a l'Ouest et une a l'Est réclament des natas.
Un chef a même fait construire par avance et la
case du futur catéchiste et le temple.
« D'autres traits seraient à citer, qui, tous, ont
la même signification et sont des appels pressants.
Nous ne pouvons que les déposer sur le cœur de
nos frères et puis en appeler à Dieu. C'est ce que
nous faisons dans notre faiblesse... »
A plus forte raison, après le voyage qui lui
prit si fortement le cœur, M. Delord devait-il reve-
nir souvent sur un sujet dont il nous dit lui-
même, dans une de ses lettres, qu'il en a fait son
delenda Carthago.
Ainsi, le 8 décembre 1899, tout en exprimant sa
joie pour la prochaine arrivée d'un collaborateur,
M. Koulinski, désigné pour établir une école indus-
trielle à Netché, M. Delord ajoute :
« Et maintenant... pour la Nouvelle-Calédonie !
Oh ! que Dieu le suscite bientôt, celui que l'on
42
EN NOUVELLE-CALEDONIE
attend avec une si légitime impatience ! Le temps
presse, le temps passe et l'œuvre est urgente. »
A cette date, on venait d'apprendre à Mare la
mort d'Elisabeth, la femme du nata Drap, celle-là
même que notre missionnaire avait trouvé, en août,
si amaigrie, et qui lui avait dit, le regardant de
ses yeux où brillait la fièvre : « Missi, je n'ai pas
peur de mourir. »
En février 1900, nouvel appel de notre frère :
« Personne ne s'est encore offert? Oh ! persévérons
a prier pour cela. Dieu ne nous a-t-il pas exaucés
pour Mare? Il le fera pour la Nouvelle-Calédonie. »
Enfin, le 8 juillet dernier : « Je ne veux pas
cesser de demander et d'appeler. Il faudra bien
qu'on réponde. A quand la décision? A quand la
joyeuse nouvelle? : « Un missionnaire s'est levé
pour la Nouvelle-Calédonie, il vient !... »
« Où es-tu, toi que Dieu appelle ? Pourquoi
tardes-tu ? Pourquoi faut-il encore remettre à demain
le travail du Seigneur ?
« En toute conscience, après réflexion sous le
. regard de Dieu, si quelqu'un ne vient pas cette
année, je laisserai mes Eglises — mes bien-aimées
et bien chétives Eglises de Mare — et j'irai cher-
cher les brebis perdues sur la Grande-Terre. »
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 43
Tous ces appels, le Journal des Missions, de
mois en mois, les a reproduits. Mais, puisqu'ils sem-
blaient rester sans écho, nous n'avions qu'à encou-
rager M. Delord à suivre son dessein et a retour-
ner en Calédonie pour une seconde tournée d'ins-
pection. Les lettres dans lesquelles nous lui don-
nions ce conseil croisaient en mer celle qu'il nous
écrivait, de son côté, le 17 juillet, pour nous
annoncer que sa résolution était prise. En voici
quelques lignes :
« Ma préoccupation est toujours l'œuvre de la
Grande Terre. Que faire? Oh! que faire?
« Vous ai-je dit que l'un de mes natas vient de
mourir, là-bas, sur la côte Est, le brave Jakobo,
de Néchakoïa !
« Vous ai-je dit que quatre à cinq tribus nou-
velles réclament encore des natas, du côte de
Ponérihouen ? L'une même, à ce que l'on dit, cons-
truit un temple en pierre... C'est bien un peu
mettre la charrue avant les bœufs, puisqu'ils n'ont
pas de nata et n'en auront sans doute pas de
longtemps !
« Si aucun obstacle ne suppose à mes projets,
je pense me rendre à Houaïlou fin septembre ou
octobre. Je rayonnerai de là sur les tribus envi-
44 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
ronnantes et réunirai pour une conférence géné-
rale tous les natas, une semaine ou deux.
« Oh ! dites bien autour de vous la nécessité de
faire cette œuvre. Pourquoi en parle-t-on si peu ?
Comment se fait-il que personne ne se lève? Cela
reste un problème pour moi. Car enfin, si Dieu
donne l'œuvre, le champ, c'est bien que, dans sa
pensée, il y a les missionnaires, les ouvriers. Et
alors que font-ils ?
» Mais peut-être que je m'impatiente. Oui,
je ne sais pas « attendre en repos la délivrance de
l'Eternel. » Qu'il me donne plus de foi, une foi
persévérante et joyeuse ! »
Et maintenant, ne semble-t-il pas que la foi de
notre frère, que l'attente des natas et des chrétiens
de la Nouvelle-Calédonie ont été mises à une assez
longue épreuve ?
Chers lecteurs, qui allez parcourir ce pays, et
visiter avec M. Delord, l'une après l'autre, ces misé-
rables agglomérations de Canaques, chez qui la
grande lumière a commencé h resplendir, vous vous
joindrez à nous pour demander à Dieu de susciter
sans retard le missionnaire tant désiré !
Ils sont encore là-bas, sur cette terre française,
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 45
25,000 environ, enfants déchus du Père, voués
a une disparition plus ou moins rapide, car ils
étaient 100,000 il y a quelques années, et ils di-
minuent graduellement. Nous seuls, chrétiens
évangéliques de France, pouvons les arrêter sur la
pente fatale où les conduit leur ignorance, leur
ivrognerie, leur bestialité.
L'œuvre accomplie par les natas est la preuve
manifeste de l'action salutaire que l'Evangile peut
avoir sur eux. Mais cette œuvre réclame un chei.
Pour la défendre contre les calomnies des adver-
saires et contre les causes de faiblesse qu'elle
porte en elle-même, il faut, de toute nécessité,
l'intervention de l'un de nous. Où est-il, de-
mandons-nous avec M. Delord, celui que Dieu
a désigné ?
Puisse la lecture de ce petit livre le décider a se
lever et à nous dire : « M© voici, envoie-moi. »
Jean BIANQUIS,
Secrétaire-Général de la Société des Missions.
I
ç
I
LE DÉPART
10 Août 1899.
Il faut partir. L'un de nos élèves-natas 1
vient, à bride abattue, m'annoncer ce qu'il
a appris le long du chemin, c'est que le
bateau était arrivé ce matin à Tadine 2 . Or il
est déjà 5 heures de l'après-midi et je n'at-
tendais le Ne-Oblie 3 que dans deux jours.
En hâte, je rassemble effets et paperasses
et me voilà en selle. Adieu, ou plutôt à Dieu,
car c'est à Lui que je vous confie, vous, mes
chers enfants, mes petits trésors ici — à
1 Nata, signifie évangéliste indigène.
- Tadine ou Tadinou, au Sud-Ouest de l'île de Mare, est la rési-
dence du délégué de l'Administration. C'est là que touche le va-
peur qui fait mensuellement le \oyage de* Lovally.
8 Vapeur ayant son port d'attache à Nouméa et faisant le ser-
vice des Loyalty.
50
EN NOUVELLE-CALEDONIE
Dieu, à toi aussi sur qui va retomber tout le
travail de la station missionnaire et parfois
certaines décisions urgentes.
Echelle verticale i:zw>oo
Plnt ifeTfcdtnou
_BytLçdofîa«v»
■'nauïfl
UUENDE
////«* Je Muré.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 51
Me voici déjà loin, il faut que je me hâte,
la nuit tombe : le bateau attendra-t-il * ?
Tadine est à 22 kilomètres.
Jewine, l'un de mes élèves-natas est
allé le premier, portant les ^bagages. J'at-
teins Hnawayatché, Padawa, et enfin Netché
— et me voici chez nos chers amis, les Rous-
seau.
Leur maison fait mal à voir, avec toutes
ces caisses qui parlent de prochain départ 2 . Les
reverrai-je à mon retour? c'est peu probable.
Et nos derniers entretiens sont mélancoliques.
Ce temps passé ensemble — mêmes joies spi-
rituelles et mêmes tristesses, comme aussi
mêmes ambitions pour ce peuple de Mare
que nous aimions tous deux, — n'est-ce pas
assez pour unir ?
1 Pour nous (Rô, se trouve au Nord de l'île), il est très difficile
de prendre ce vapeur, car il passe à des dates très irrégu-
lières et parfois ne s'arrête que peu d'heures.
- Depuis lors, en octobre, ils sont partis pour Lifou. Ils vont
créer à Wé, sur la côte Est une école normale indigène, pour la
formation de moniteurs, que l'on dispersera ensuite, selon les
besoins, pour les écoles des Loyalty et même en Nouvelle-
Calédonie.
>2 EX XOCVKLI^-CALÊDOSIX
|| est 10 heures lorsque j arrive à Ta-
vBtne. Le porteur Je bagages ma retardé;
d: ailleurs la nuit est très sombre et, sur le
entier étroit, il faut choisir presque chacun
dv ses pas.
Vais qu'est-ce que j'entends ?
tu bruit de chaîne. Le bateau lève l'ancre.
U v Me, je crie à tue-tète : m entendra-t-on ?
>im|h allumons un grand feu pour attirer les
ivjitiftls... Knfin, on nous a aperçus et enten-
dus, umcî l« chaloupe qui s'approche.
le prends congé de mon cher Jewine —
\K\\ biaxe v{ intelligent, celui-là 1 , — et je
^ule iluu» la chaloupe..
\\\k elïel, h 1 bateau allait partir. Encore
quelque 1 * minutes et mon voyage eût été re-
UivU v il'uu mois.
\le \\»lei à bord. Le Nc-Oblie lève Tan-
\ le \lii\ l disparaît dans la nuit ; mon cœur se
' Sw«M.\ *■'!** v ««*«• » ,,<; J rt souffert pour sa vocation, puisque, \
in.ii . H*"»;\K^H. W Kil envoyé on exil a l'Ile des Pins. Et certes \
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v fô** : \(*i -»-k -fuw HHlW» Hun humble nata — qui y fut envoyé, lui
EX NOUVELLE-CALÉDONIE 53
serre. O Dieu, garde cette œuvre qui est la
tienne, ces Eglises, ces « natas » !
La mer est calme. J'entre à la salle à
manger, qui sert aussi de dortoir.
Pour passagers : un douanier, trois
<c sœurs » de Lifou, Ouvéa et Mare, et tout
un contingent de « petites filles de Marie 1 ».
Les couchettes sont dissimulées derrière
des rideaux. Je me couche et dors d'un bon
somme.
NTioê II Août.
Voici la côte calédonienne qui apparaît.
Les montagnes se dressent formidables : au
loin, le Humboldt (1650 met.) Voici la passe
du « Solitaire», que garde le récif de ce nom.
A droite et à gauche, la mer « brise » sur des
récifs que Ton n'aperçoit pas. Il faut une at-
tention de tous les instants et une grande
habitude de ces parages pour pouvoir naviguer
•dans ces passes, parfois très étroites.
1 « Petites filles de Marie » — c'est-à-dire sœurs indigènes,
■«vkc le costume, la coiïl'e en moins.
52 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Il est 10 heures lorsque j'arrive à Ta-
dine. Le porteur de bagages m'a retardé ;
d'ailleurs la nuit est très sombre et, sur le
sentier étroit, il faut choisir presque chacun
de ses pas.
Mais qu'est-ce que j'entends ?
Un bruit de chaîne. Le bateau lève l'ancre.
Je hèle, je crie à tue-tête : m'entendra-t-on ?
Nous allumons un grand feu pour attirer les
regards... Enfin, on nous a aperçus et enten-
dus ; voici la chaloupe qui s'approche.
Je prends congé de mon cher Jewine —
un brave et intelligent, celui-là *, — et je
saute dans la chaloupe..
En effet, le bateau allait partir. Encore
quelques minutes et mon voyage eût été re-
tardé d'un mois.
Me voici à bord. Le Nc-Oblie lève l'an-
cre. Mare disparaît dans la nuit; mon cœur se
1 Jewine, élève-nata, a déjà souffert pour sa vocation, puisque, \
pour cette raison, il fut envoyé en exil à 1 Ile des Pins. Et certes >
son crime n'était pas très grave, car il travaillait à ses étu- :
des auprès d'un nata, d'un humble nata — qui y fut envoyé, lui 1
aussi, et y languit 5 ans. I
EX NOUVELLE-CALÉDONIE 53
serre. O Dieu, garde cette œuvre qui est la
tienne, ces Eglises, ces « natas » !
La mer est calme. J'entre à la salle à
manger, qui sert aussi de dortoir.
Pour passagers : un douanier, trois
« sœurs » de Lifou, Ouvéa et Mare, et tout
un contingent de « petites filles de Marie 1 ».
Les couchettes sont dissimulées derrière
des rideaux. Je me couche et dors d'un bon
somme.
NTioc il Août.
Voici la côte calédonienne qui apparaît.
Les montagnes se dressent formidables : au
loin, le Humboldt (1650 met.) Voici la passe
du « Solitaire », que garde le récif de ce nom.
A droite et à gauche, la mer (( brise » sur des
récifs que Ton n'aperçoit pas. Il faut une at-
tention de tous les instants et une grande
habitude de ces parages pour pouvoir naviguer
dans ces passes, parfois très étroites.
1 « Petites filles de Marie » — cest-ù-dirc sœurs indigènes,
-av»fc le costume, la coi île en moins.
54 KX NOUVELLE-CALÉDONIE
Il est 10 heures. Voici N'Goé. Une pau-
vre station de mines : quelques cases, deux
ou trois maisons en planches, et, sur la berge,
des chalands, remplis de sacs de minerai.
Et un jour va se passer là, à l'ancre. Temps
monotone, au milieu des bruits du treuil et
des cris des indigènes qui embarquent des
sacs. Nous en avons embarqué 2.000, de ces
sacs remplis de minerai de nickel, couleur
d'argile jaune sale.
Les u sœurs » vont à la recherche de coquil-
It^nvs sur les récifs. Je mets en ordre mes
notes rassemblées en hâte au moment du
départ.
Au repas, grande discussion sur « l'Af-
faire l> l^e capitaine S... est un fervent de la
tvxitioii. l<es « sœurs » écoutent, et, pour la
première fois sans doute, en entendent aussi
12 Août.
\w \\\\\\ mVsI passée à l'ancre, dans la baie
^Utpidlo. Nous partons au petit jour. La
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 55
mer est belle mais se gâtera sans doute à
Tapproche de la Havannah, à l'extrémité
sud-est de la Calédonie. C'est une mauvaise
passe, où il y a toujours du courant.
Nous mettons les voiles et c'est à 8 ou 9
nœuds que nous liions maintenant.
Voici la passe : le courant est très fort. Le
temps se gâte tout à fait. Il ne m'est plus
possible de descendre à la salle à manger. Je
reste sur la passerelle.
Voici maintenant, sur un sommet escarpé,
la maison du télégraphe optique qui corres-
pond avec l'île des Pins, lorsque le temps est
clair, et avec Nouméa par un fil télégra-
phique.
Voici la baie du Prony, la baie du Sud,
le village de l'Administration pénitentiaire *,
le canal de Wood, l'île Ouen. Mais comme
tout cela paraît désolé ! Pas de culture. Les
montagnes descendent abruptes et ravinées
jusqu'au bord de la mer! A peine, çà et là, un
1 L'Administration pénitentiaire a un établissement à la baie
du Prony, pour l'exploitation de 2 grandes forêts.
ri» KN NOUVELLE-CALEDONIE
bouquet de cocotiers qui fait tache verte sur
r o terrain rouge.
Kntin. voici la côte Sud — mais c'est tou-
jours le même aspect.
|>an* I** lointain, Saint-Louis et la Concep-
tion » les deux plus importants établisse-
ment* de la mission catholique en Nouvelle-
i\d\ x donie, à 10 et l(> kilomètres seulement
^b* Nouméa. Là se trouvent deux petites
mln»*i indigènes — les seules, ou à peu près,
dr lonle la partie méridionale de l'île.
Mitht \oiei les (eux de Nouméa et, au large,
\ y |i m de l'Ile Amédée. Il est 8 heures du
hIi .\iuih arrivons. 11 pleut à torrents. Je
nu m iid-i aussitôt chez le pasteur Lengereau.
******
a
II
A NOUMÉA
Nouméa 13 — 15 Août.
Nouméa, la ville coloniale, mélange assez
triste de toutes sortes d'écumes, libérés,
relégués, matelots, Canaques, Néo-Hébridais,
Chinois, etc. Mais la ville s'embellit tous les
jours et Ton est à la veille de grands travaux.
De meilleures constructions remplacent les
« boîtes à sardines » et les « touques à pé-
trole. »
Je dois une mention spéciale à ce qui de-
meurera comme un monument de la persé-
vérante et habile ténacité de M. le pasteur
Lengereau, je veux parler du temple proies-
GO EN NOUVELLE-CALÉDONIE
tant et du presbytère, deux très jolies cons-
tructions dominant la ville et s'imposant à
l'attention par un goût et un fini remar-
quables.
Malgré tout, la ville reste triste; mais
c'est plutôt, je pense, l'effet d'une impres-
sion toute personnelle, venant du fait que
je sais qu'il y a là un afflux de misère
morale 1 .
C'est aujourd'hui dimanche, une journée
radieuse. C'est la bonne saison, la chaleur
est tempérée et les pluies sont rares.
Peu d'auditeurs au temple' 2 , dans ce beau
temple aux sculptures si harmonieuses et si
fines.
A 2 heures se réunissent les indigènes des
Loyalty. Le nata Sétine préside ce culte en
langue de Mare. Mais, dans l'auditoire, se
trouvent aussi des gens d'Ouvéa, de Lifou.
1 La population pénale, pour toute la colonie, est d'environ
11.000.
2 Culte à 9 heures ; école du dimanche à 8 heures ; culte indi-
gène à 2 heures, lorsqu'un nata est de passage.
<,
EX NOUVELLE-CALÉDONIE 63
Quelques femmes. Hélas, la honte me monte
au front. Elles sont de Mare et je n'ignore pas
leur triste métier, leur vie de débauche.
J'aimerais mieux, me semble-t-il, ne pas les
voir là, à ce culte, avec leur toilette recher-
chée et voyante. Près de 200 auditeurs ; pres-
que tous des employés. Quelques-uns sont de
passage, venus à Nouméa pour la vente de
leurs produits: maïs, coprah, choux, bananes.
Je dis aussi quelques mots après le dis-
cours du nata. On parle d'une collecte pour
la mission en Nouvelle-Calédonie. Ils appor-
teront mardi, à midi, leurs offrandes 1 .
Mes journées du lundi et du mardi se pas-
sent en courses pour achats et visites.
1 Le résultat de cette collecte a été de 51 fr. 95 et plusieurs
dons en nature : vêtements, savon, etc.
III
EN ROUTE VERS LA COTE OUEST
16 Août.
Enfin voici le vrai départ. Il est 7 heures. Je
m'embarque sur le « Saint-Pierre », assez
grand et joli navire, l'un des deux « tours de
côte » qui font le service régulier pour voya-
geurs et marchandises.
Nombreux passagers. Presque tous cepen-
dant descendront ce soir à Bourail, où vont
avoir lieu des courses de chevaux.
Sur le pont, huit musiciens de l'Adminis-
tration pénitentiaire jouent quelques mor-
ceaux. Leur visage pale et rasé semble une
énigme. Je les regarde longtemps : qu'est-ce
(^ EN NOUVELLE-CALEDONIE
qui so cache dans ce passé qu'ils expient,
quoi est le mystère de leur vie perdue 1 ?
Xous naviguons longtemps à l'abri des
récifs ; la mer est calme, quoique la brise reste
fraîche. Mais là-bas, la grande ligne blanche,
marquant l'écume des vagues sur les récifs,
indique que la mer est forte.
La vue que Ton a sur le rivage est plus
ngréahle maintenant. Ce sont des collines à
nciile douce ; cà et là, quelques maisons d'ha-
bitation dont les toits de tôle brillent au
Hiileil.
Voici la passe d'Isié. Nous la franchissons.
Les vagues sont énormes et nous causent
des... surprises. Je monte sur la passerelle
où l'on a peine à se tenir.
Knlin, voici liourail , l'agglomération la
plus importante après Nouméa: centre pres-
1 J'ai eu 1 occasion, pendant ce voyage, de causer avec le com-
iii.iijiiuiit K. , du centre de H... Nous avons longtemps parlé des
« oiidamnés. Il u connu uu Pénitentier beaucoup de prêtres
jHcsijue tous condamnes pour attentats à la pudeur) mais il
ma dit u avoir jamais rencontré de pasteur. Les prêtres con-
damnes sont, au bout de peu de temps, remis à la mission catho-
lique de Païta, où ils sont employés à divers travaux.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 67
que exclusivement pénal, à 12 kilomètres du
bord de la mer. Le port de Bourail est
Gouaro. Un chemin muletier assez bon relie
Bourail à Houaïlou,surla côte Est.
La baie est calme. Les chalands accostent.
A la hâte, tous les passagers se sauvent. Ils
sont heureux de retrouver un plancher plus
stable que Je pont du « Saint-Pierre ». Du
reste, la nuit s'approche.
Nous ne sommes que deux à table : un pi-
lote et moi. J'ai du plaisir à causer avec lui,
car je sens une âme droite. Nous parlons
de la mission protestante qu'il ne connaît
pas. Il a connu cependant plusieurs « natas »
et même quelques-uns de mes élèves actuels.
Il les a connus au phare où ils étaient exilés,'
aux temps malheureux des persécutions offi-
cielles contre les amis et partisans du mis-
sionnaire anglais, M. Jones.
17 Août.
Deux heures du matin ; nous repartons. La
mer est restée houleuse ; aussi, m'envelop-
68 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
pant dans ma couverture, je monte sur la
passerelle.
Voici Poya *; mais à peine le temps de dé-
charger quelques marchandises et nous re-
partons.
Voici la délicieuse baie de Maréo, très
calme, entourée de collines boisées.
Un superbe voilier, le « Marguerite-Elise »,
est à l'ancre. Chargé de 2,000 tonnes de mi-
nerai de nickel, il attend la remorque de
notre bateau pour partir.
Je descends à terre. Un Decauville conduit
sur le rivage le minerai de la mine Néponi.
Parmi les travailleurs indigènes 2 , je reconnais
plusieurs jeunes gens de Mare, presque des
enfants. Ils me reconnaissent bien, eux!
Je remonte à bord, et la soirée s'achève
1 Un nom à retenir. On m'a assuré que, dans peu de temps,
un chemin bon et relativement court réunirait Houaïlou à Poya.
Il constituera une économie et de temps et d'argent pour ceux qui
voudraient se rendre de Houaïlou à Koné, par exemple, ou à tout
autre port dans lu direction du Nord-Ouest.
- Le Canaque calédonien ne travaille pas, ne veut pas travail-
ler (ou, s'il travaille, c'est par boutade, pour quelques jours, en
vue de l'achat d'un objet qu'il désire ou d'une passion qu'il veut
satisfaire). Aussi presque tous les indigènes employés aux mines
et autres travaux sont-ils étrangers : Néo-Hébridais, Lifou,
Mare, Chinois, etc.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 69
dans le bruit du treuil, dans le va-et-vient
des matelots, dans les vociférations du capi-
taine du bateau voisin, venu pour festoyer et
s'enivrer.
Oh ! l'homme sans Dieu est un être si vil,
lorsqu'il se livre à sa passion !...
Ecœuré, ne pouvant plus vivre dans cette
atmosphère bestiale, je monte sur le pont,
sous le resplendissement si pur d'une belle
nuit étoilée.
18 Août.
Aussitôt que le jour permet de distinguer
les récifs et la passe, nous partons. Opération
intéressante que celle de l'amarrage et du
départ. Deux puissants cables nous relient
au « Marguerite-Elise », l'un en acier, l'autre
en chanvre; l'un transmettant la force de
traction, l'autre donnant du jeu, de la sou-
plesse aux mouvements.
Et c'est là une image de ce que doit possé-
der tout serviteur de Dieu : il doit unir la
puissance de l'acier à la souplesse du chan-
5
70 EX NOUVELLE-CALEDONIE
vre, être doux, mais être fort, — car lui aussi
est appelé à remorquer des âmes, jusqu'à ce
que le vent de la pleine mer, soufflant dans
leurs voiles, leur permette d'aller seules, et
peut-être, à leur tour, de remorquer quelques
âmes en détresse...
Nous avançons lentement à travers les
récifs. Le pilote, avec lequel je causais hier
soir, tient la barre du voilier. Voici la passe,
le vent du large souffle violemment. Nos
deux navires sont soulevés comme des coquil-
les de noix. Les cables se tendent à se rompre;
mais le « Marguerite-Elise » prend sa toile,
le vent la gonfle déjà, on largue les amarres
el le voilier part Sud-Sud-Est, dans la direc-
tion du cap Ilorn, pour Glasgow, où il doit
arriver dans quatre mois.
El nous continuons notre route à travers
venls el laines.
Pouv/nbout.
Encore un arrêl 1res long.
Nous sommes accostés par de petits
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 71
voiliers, toute une flotille . Ce sont les
barques pour la pêche de la nacre et des
huîtres perlières. Mais là, je dois avoir des
connaissances ! En effet, les voici qui vien-
nent à moi, le visage tout éclairé par la joie
de voir leur « missi * ».
Ce sont mes gens de l'église de Mebuet, qui
travaillent pour gagner la toiture de leur
temple 2 .
Il faut que je note ici la réponse si vraie
de l'un d'eux. Nous parlions de leur travail
dangereux. « Prenez garde aux requins, leur
dis-je. — Oh ! — Il n'y a pas de « oh !» : pre-
nez garde. Moi je ne tiens pas à ce que vous
rentriez avec une jambe ou un bras de moins.
— Missi, nous n'avons pas peur, car nous
travaillons pour le temple et, là-bas, les hom-
mes prient pour nous. »
Je suis resté pensif, devant leur réponse si
simple et si vraie. Et je me suis dit : « Tu
1 « Missi » — terme par lequel les indigènes de Mare dési-
gnent leur missionnaire.
2 Mebuet ou Mébouaté, église de l'île de Mare, dans le district
de Netché. Voir le Journal des Missions Evangèliques, 1899, avril,
p. 312-313.
72 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
travailles aussi pour le temple, toi, — et n'y
en a-t-il pas qui prient pour toi, là-bas, sur
la terre de France ? »
Je me rappelle encore ce qui se disait autour
de moi, à table, quelques instants après. On
parlait des perles, de leur valeur commerciale,
« Oh, disait quelqu'un, les perles noires sont
les plus rares ; si j'en trouvais une seule, je
n'aurais pas perdu mon temps !... » Et qui
donc pense à ces autres perles noires, qui
vivent et qui meurent, là, tout près ? Si j'en
trouvais une seule, moi aussi je pourrais
dire : Je n'ai pas perdu mon temps.
Un dernier souvenir. Tout récemment, un
joaillier de Sydney recevait la commande
d'un collier qui devait être uniquement com-
posé de perles noires — et la somme offerte
était fantastique, toute une fortune. Quels
sont les riches, dans nos Eglises, qui cher-
chent aussi « un collier de perles noires »
et sont prêts à donner pour cela une part de
leur fortune?
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 73
... Avec tous ces arrêts prolongés, nous
voici en retard d'un jour. Nous n'arriverons
à Koné qu'à la nuit.
En effet, il fait déjà sombre lorsque
nous touchons à Foë, qui sert de port à Koné.
Cependant, je descends à terre, espérant y
trouver mon nata que j'ai prévenu, par
télégramme, il y a deux jours.
Personne à terre : une plage déserte. Je re-
tourne donc au bateau pour y passer la nuit.
» && *
IV
KONÉ ET SES ENVIRONS
Samedi, 49 Août.
\ quatre heures du matin, quelques hom-
limes de l'équipage viennent m'appeler.
Ilfautdébarquer. Je laisse la mer pour prendre
la terre, et maintenant ma vraie mission va
commencer. Aussi, c'est avec une réelle émo-
tion que je fais mes premiers pas sur ce che-
min où il fait encore obscur.
Et, tout de suite, j'ai devant moi comme une
image de ces tribus canaques qu'à la onzième
heure nous venons évangéliser : c'est un
groupe de cocotiers chétifs, mourants, sur
une lande broussailleuse où nul ne vient
7(> EN NOUVELLE-CALEDONIE
travailler, tandis que chaque passant donne
son coup de hache aux vieux troncs noircis.
Beaucoup sont morts, les autres restent mi-
sérahles et sans fruit...
Voici, sur la hauteur, une maison qui sert
d'hôtel au besoin. Il y a de la lumière ; je m'y
rends.
J'attends là jusqu'à huit heures. Toujours
pas de nata. Je loue un cheval, car le centre
de» Ivoné et la tribu se trouvent à 10 et 12
kilomètres dans l'intérieur.
() l'horrible chemin, plein de fondrières !
Autant vaudrait aller droit devant soi, à tra-
vers champs et broussailles. Et combien de
moustiques, quelles légions !
J'arrive à la tribu; j'interroge, je cherche.
Enfin, voici la case du nata Waziarim Bosa-
lel... fermée ! 11 est absent depuis plusieurs
jours. Il est à Voh. Quel contretemps! Que
lerai-je sans lui ?
En attendant, j'erre dans le village, à la re-
cherche de quelqu'un qui puisse me com-
prendre.
78 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Voici les cases des chefs (le grand chef :
Mango ; le petit chef : Tibatéa).
Partout, autour de moi, une végétation ma-
gnifique, des bambous géants, des bananiers
sauvages hauts comme des arbres.
Dispersées et comme cachées par toute
cette végétation, les cases montrent çà et là
leur toiture en chaume.
Elles sont, en général, en forme de cône;
mais l'entrée en est très basse et très étroite.
A droite et à gauche de l'entrée, des figures,
grossièrement sculptées et peintes, qui gri-
macent \ Sur le sommet de la case, nouvelles
figures bizarres à forme de palette à plusieurs
dents, tout encadrées de coquilles. Les cases
sont ordinairement entourées de palissades
en feuilles de cocotiers. Puis, ici et là, des
ce tabou 2 . »
1 II existe deux sortes de chefs. Chacun place au-dessus de sa
case le signe ou emblème de sa puissance et de son rang*: une
forme d'oiseau, pour les grands chefs ou leurs descendants ; des
poteaux auxquels sont suspendus des lambeaux d'écorce de
banian, pour les petits chefs.
- Tabou, signifie tantôt consécration (avec but religieux), tan-
tôt interdiction. Ainsi un arbre est « tabou», consacré à certains
usages, lieu de sépulture; un fruit, une canne à sucre est
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 79
Les cases sont vides. Les indigènes sont
employés en ce moment à la cueillette du café,
dans les superbes caféeries de Koné.
Que faire ? Je me dirige tout ennuyé vers le
centre européen, qui occupe le sommet d'une
colline. Une église catholique, un poste mili-
taire, une mairie-école et deux ou trois hôtels.
Je descends à l'hôtel Ferlin.
Repas. Visite à l'institutrice, qui, bien que
catholique, s'intéresse tout particulièrement
à la tribu de Koné 1 et au « nata ».
Enfin, je me décide à partir pour Voh où
m'attendent tous mes natas. Je désire pas-
ser ma journée de dimanche avec eux.
De Koné à Voh, il y a 30 kilomètres. Mon
cheval s'emporte à deux reprises ; je perds
successivement mon casque, ma pèlerine...
« tabou », c'est-à-dire qu'il est interdit d'y toucher. Le
(( tabou » esf; indiqué par de petits paquets d'herbes suspendus
à un bâton; parfois c'est un chiffon, dans lequel se trouve un
peu de cendre ou quelques os. La forme varie à l'infini.
1 Un jeune homme de la tribu de Koné, nommé Baptiste, est
en ce moment auprès de moi à Rô, comme élève-nata. De
tous les indigènes, qui m'entourent, c'est le plus actif, le plus
empressé à rendre service, une vraie perle. Il sera plus tard,
— lorsqu'il aura acquis les connaissances et la maturité néces-
saires, — d'une grande utilité pour la mission en Galédonic.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 81
triste, sans arbres, sans cultures. Pour toute
végétation, l'herbe à piquants 1 qui, en ce mo-
ment de l'année, est d'un jaune sale.
1 « L'herbe à piquants » se retrouve dans presque tous les
pâturages calédoniens, dans les terres médiocres. Assez aimée des
bètes à corne, elle devient, par ses piquants, le supplice des
bêtes à laine.
N4 EN NOUVELLE-CALEDONIE
hommes, femmes, enfants ; un petite colonie
perdue en plein paganisme, en pleines ténè-
bres.
Et, à cette heure tardive où j'écris, je les
sens très précieux à ma vie; ce sont vraiment
des âmes sœurs de mon àme.
Je sens que, par la simplicité dans le sacri-
fice accompli, ils se sont élevés jusqu'à l'hé-
roïsme chrétien — celui qu'on ne décore pas,
mais qui est écrit dans le livre de Dieu.
Drap surtout me semble être au milieu d'eux
comme un grand frère aîné.
Le nata Drap dirigeait, à Mare, une Eglise
qui lui était extrêmement attachée et à la-
quelle il avait fait beaucoup de bien. On
peut dire qu'il s'est arraché à l'affection de
son Eglise pour se consacrer à ces pauvres
tribus calédonniennes.
Oui, il a été grand par son renoncement.
A quoi ai-je renoncé, moi ? A rien, lorsque je
me compare à lui.
Il a choisi, parmi les plus humbles, la plus
plus humble tribu, la plus déshéritée. De leur
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 85
pauvreté il a fait sa pauvreté, de leur isole-
ment il a fait son isolement. Sur cet îlot de la
désolation il est venu construire sa case.
Oh! le cher Drap !... Que le Seigneur le lui
rende au centuple !
Voh, tribu de Gatope*, dimanche soir 20 aoû\
Voici encore une journée écoulée.
Le matin, culte avec Gène. Le soir, culte
pourtous. Mais peu d'auditeurs. Deux femmes
seulement ; toutes les autres étaient à la pê-
che. Du reste, il paraît qu'elles n'ont pas en-
core osé se mêler aux hommes.
J'ai parlé, Sétine et Drap ont parlé aussi.
Mon installation manque évidemment de
confortable... Je couche sur une toile de ba-
teau posée sur un peu de paille. Les puces
sont légion et je dois m'envelopper les mains
et le visage à cause des moustiques... Mais
j'ai tant de joie à me trouver avec mes
natas !
1 Gutope, chef Toupila, pauvre être abject : pourra-t-il ja-
mais sortir de sa misère morale?...
8(> EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Kt, tandis que j'écris ces lignes, dans la
petite case basse arrive une mélodie étrange,
monotone et triste. Voici quelques lambeaux
qui me parviennent et que je note au courant
de la plume. Ce sont les enfants des natas qui
chantent en langue de Mare, assis autour du
feu, dans la nuit devenue très sombre.
Kcoutez, tribus, et vous, les chefs,
Kcoutez aussi !
Dieu nous a envoyés vers vous,
Il a envoyé les natas :
Wnzinrim à Koné,
Mûli'iiiélc à Ujo
l']t Drap à Gatope.
Whïh est a Tiéta,
Séliue est a Témala ;
Nitloïch a Gomen,
Pilrn à Païtn,
Oih'mIi» a Koumae,
WiiNliiline à IS'éjama,
S^tôfnito à Poume,
lit <• fht là la fin.
lin HHHiH'itl de silence, pendant lequel le
lu Mil i\r lîi Vii^iie sur les récifs arrive comme
uni pliiiiih* H comme un lourd sanglot — et
h < Ihiitl reprend :
-c^*^
i
"- ^l
*/fWi
Toupila, le chef de Gatope.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 89
Voici, nous pleurons sur leur misère :
Ils sont sans Dieu.
Et Satan qui les conduit
Les conduit à l'abîme.
Sur eux, hélas ! nous pleurons ;
Et sur leurs ténèbres
Nous gémissons et le jour et la nuit.
— Ohé, les garçons et les jeunes gens,
Vous qui habitez là-bas
Dans notre pays aimé,
De Mare n'ètes-vous pas le peuple !
Ecoutez notre prière pour eux.
L'appel du Macédonien,
C'est notre appel aussi :
« Lève-toi et secours-nous! »
C'est une complainte ; les notes se traînent,
toujours les mêmes, comme un murmure,
comme une voix qui pleure.
Et cela correspond si exactement à mes im-
pressions de ce jour qui s'achève, a la tristesse
de tout ce que j'ai vu et senti, que j'écoute
encore, que j'écoute longtemps ; moi aussi, je
voudrais pleurer.
Pour la première fois de ma vie aujourd'hui,
j'ai vu le vrai paganisme ; il était devant moi
ce soir, il y a un instant, ici, dans la petite
case, avec ces êtres presque nus, à la face
m
EN NOUVELLE-CALEDONIE
bestiale. Quant aux femmes, elles se tapissent
clans leur ease spéciale et n'osent s'approcher
de la place où les hommes sont réunis ; seule,
lune des deux femmes du chef a osé faire
exception.
Le vrai paganisme, je l'ai vu aussi ce matin
nous l'arbre « tabou » où reposent les crânes
blanchis et les cadavres fumés et momifiés.
H est encore là, à quelques pas de moi, avec
<*cs morts ensevelis à moitié, de telle sorte
que les têtes, surgissant encore de terre,
semblent regarder les vivants...
Et pourtant la vie civilisée, les fonction-
naires, les colons, la poste, le télégraphe,
l'école sont là aussi, et, de ma case, je puis
voir tout cela.
Si près d'un monde civilisé et si loin de la
civilisation ! Mon Dieu, est-ce possible ?
Mais écoutez : « Vatoua nia kondjé Bafou-
kituljc (Dieu est amour) ! » C'est la prière du
soir maintenant. Craignant de me déranger,
le nata a réuni tout son petit monde — ses
enfants à lui et quelques enfants de sa tribu
EN NOUVELLE-CALEDONIE
91
— dehors, autour du feu, là où l'on chantait
il y a un instant. 11 lit son texte en langue de
Mare et le traduit ensuite dans le dialecte de
la tribu.
On chante encore :
Gae ame me hane hnei Jesu
Gae hame vuhnune
Vuhnune gae hame
Gae hame vuhnune.
C'est la traduction du
cantique français :
Viens à Jésus, il t'appelle,
Il t'appelle aujourd'hui !
Trop longtemps tu fus rebelle ;
Aujourd'hui, viens à Lui.
Les voix qui chantent
maintenant sont alertes
et joyeuses ; c'est comme
un chant d'oiseau, et,
dans la nuit calme, tout
semble s'apaiser pour
écouter. Le chant s'élève
très pur, et sans doute
Types calédoniens [tribu de Gatope).
.\ xoOSL;.£-C.M.£DOSIE
i ^v v"Mi|K»i*!c aussi» là-bas, jusqu'au
■ j^ a^ i»*ii^ u>*(u aux ealeeries parfu-
.-. > ti, a a*ur. .nue s apaise aussi; je
.a^. N-'^io.ir . e xeux croire, rien
. % - ■ »..k u^v'V *;e *v »euple. son abandon
^ .1. ^^ ,...^^^ii liiieeiiou inèine feront
l. ^ . ;u î ^e iexera bientôt, le
^ x, . * ... ■ m nui ti/i komlje Ba-
1 v . ^ îiikhii" «. e e<t là tout.
\ .v. v'uîiivv axée ces paroles
■■.i-iM^i iui:v>uiis doute, ce soir,
v . ^ ..■ii-v a ian^ue de ee peuple
Lundi H août
V;,,» V.v-x'v »v'.-v;e v'ivo au conunen-
Vv v \-^-v « u-n.ex^i demie, avec Mé-
\s^ N \\ v- v.iiiix ' v ,;u . .m L>aleîiûère.Mais,
v xv.x. ^,.v .— ., , .^ .ae t>iiv^ue indi-
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 93
gène conduite par trois petits Canaques. Je
monte à leur bord. C'est pittoresque d'aller
ainsi, par une mer très calme, sur ce tronc de
bois *. On pêche pendant le trajet. Les petits
indigènes ont de très légères sagaies qu'ils
lancent avec une adresse extraordinaire.
Des palétuviers sur le rivage ; le fond de la
mer est vaseux.
Nous arrivons à 10 heures et demie.
Le village est vide, car, à la moindre idée
qui leur passe par la tête, les indigènes ca-
lédoniens partent à l'aventure. Ils errent de
droite et de gauche, puis rentrent au bout de
plusieurs jours d'absence. Les femmes vont
d'un côté, les hommes d'un autre. Parfois ce
sont les enfants qui partent en bande, comme
des oisillons, pour voir le monde.
Pourtant, le chef est là, seul, au fond d'une
vieille case. Il est hideux de lèpre. Nous lui
faisons une visite, mais sans entrer. Il parle
assez bien le français.
1 La pirogue calédonienne, comme celle en usage aux Loyal fy,
est la pirogue dite « à balancier » — c'est-à-dire presque inver-
sable.
94 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
C'est ici un village de pêcheurs. Il est très
sale.
Voici l'arbre « tabou », où sont suspendues
les caisses éventrées ou pourries desquelles
ont voit surgir des os humains, des crânes
sur le sol...
La case du nata est bien construite 1 . Le
temple est, pour le moment, semblable à l'abri
de Gatope qui me sert de case. C'est un sim-
ple hangar en paille.
Les quelques femmes qui sont rentrées au
village se tiennent à distance et, lorsqu'elles
veulent passer devant la case où je me trouve,
elles marchent sur les mains et les genoux
— pauvres créatures superstitieuses, avilies
et craintives.
Je désire repartir, mais impossible. La mer
a disparu. Elle s'est retirée jusqu'à des cen-
taines de mètres du rivage, laissant à décou-
vert un fond de vase.
1 Lorsque les natas de la côte Ouest veulent construire une
case, ils se réunissent et travaillent ensemble. Mais aucun
homme de la tribu ne leur vient en aide. Assis en cercle, les in-
digènes de la tribu causent et regardent. Il n'en est pas de même
sur la cùte Est et même à Koumac.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 95
Nous ne pouvons repartir qu'à 7 heures,
par un superbe clair de lune.
Tiéta et Témala { . Mardi 22 août
Parti à 10 heures de Gatope. De Gatope à
Voh 2 , le chemin est bon sans doute, mais
affreusement monotone. Je loue un cheval à
Voh.
Un seul colon sur la route de Tiéta ; j'ai
justement l'occasion de voyager avec lui. Il
me fait l'effet d'un jeune homme léger, mais
assez bon avec les Canaques.
On traverse la rivière plusieurs fois sur un
parcours de 8 kilomètres ; aussi est-il fort
ennuyeux de faire la course à pied, car il faut
à plusieurs reprises ôter chaussures et bas.
Le village de Tiéta est assez joli et assez
propre ; belles plantations indigènes. Ce
n'est plus un village de pêcheurs. Je remar-
1 Tiéta (les natas de Mare écrivent, selon leur prononciation,
« Cetra ») : nata Waia ; — Témala : nata Sétine.
- Voh. Hôtel Destoop.
94 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
C'est ici un village de pêcheurs. Il est très
sale.
Voici l'arbre « tabou », où sont suspendue s
les caisses éventrées ou pourries desquelles
ont voit surgir des os humains, des crânes
sur le sol...
La case du nata est bien construite 1 . Le
temple est, pour le moment, semblable à l'abri
de Gatope qui me sert de case. C'est un sim-
ple hangar en paille.
Les quelques femmes qui sont rentrées au
village se tiennent à distance et, lorsqu'elles
veulent passer devant la case où je me trouve,
elles marchent sur les mains et les genoux
— pauvres créatures superstitieuses, avilies
et craintives.
Je désire repartir, mais impossible. La mer
a disparu. Elle s'est retirée jusqu'à des cen-
taines de mètres du rivage, laissant à décou-
vert un fond de vase.
1 Lorsque les natas de la côte Ouest veulent construire une
case, ils se réunissent et travaillent ensemble. Mais aucun
homme de la tribu ne leur vient en aide. Assis en cercle, les in-
digènes de la tribu causent et regardent. Il n'en est pas de même
sur la côte Est et même à Koumac.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 97
donnée à son arrivée. En revanche, il récolte
passablement de café. En effet, il a eu la
bonne fortune de recevoir en don, à la mort
d'un vieux chef, une partie de sa propriété :
bananiers, cocotiers, caféiers. Peut-être cela
lui a-t-il été un piège. Sa femme, au con-
traire, me paraît active et intelligente.
Que faire dans un village vide ? Je me dé-
cide à aller jusqu'à Témala. Oh! l'horrible
sentier canaque, par monts, par vaux, à tra-
vers les ravins et les ruisseaux ! C'est mer-
veille que mon cheval puisse passer par là.
Mais impossible de rester en selle... Et nous
allons ainsi à pied, Sétine et moi, pendant
plus de trois heures. Le colon nous avait
parlé d'une demi-heure ! Nous ne sommes
arrivés qu'à la tombée de la nuit.
Superbe vallée, végétation tropicale. Ar-
bres géants. Belles rivières. Nous visitons la
tombedeTawaishiet du petit Samuel 1 . Sétine
est très ému en retrouvant tout cela, et sa
1 La femm î et l'enfant du nata Sétine, morts en février 1899.
Lui-même est venu se ïemurier à Mare.
5*8 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
case viilo et ses plantations envahies par les
grandes herbes.
Je remarque là quelques Canaques qui me
paraissent intéressants, intelligents. Je fais
observer au nata quelques plantations nou-
velles d'un bon travail : « Oui, dit-il, main-
tenant bons les Canaques; autrefois toujours
la « tlemme ! »
Visite au ehef — lépreux encore. Il parle
assez bien le français. 11 a appelé son enfant
du nom du nata.
Mais il se plaint amèrement : « On Ta dé-
pouillé de son terrain ». Voici la vérité : il
Tu vendu pour (>()() francs et deux sacs de
riz. Aujourd'hui, les (}()() francs sont dépensés
en vue d'un pilou et il faut laisser ses cases,
be*s bananiers.,, aller plus loin. L'indigène ne
t>ail pas garder son argent. Dès qu'il en a, il
arhèle vêlements, alcool, tout ce qui a Thon-
neur d'arriver premier à son cerveau.
Maintenant il est tout à fait nuit ; nous ren-
Ironsaii petit pas par un chemin qui traverse
de grands pâturages, où les troupeaux de
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 99
bœufs nous regardent étonnés. II fait clair
de lune, mais le temps est couvert.
11 y a 8 kilomètres de Témala à Voh.
Mercredi 23 août.
Voici ma dernière journée.
Elle se passera en entretiens avec mes
natas. Je prends aussi quelques vues photo-
graphiques.
Mes adieux aux natas, — à cette petite co-
lonie chrétienne ! en terre païenne. Solennité
de cette séparation. Ils sont tout tristes. Que
Dieu les garde ! Reverrai-jela femme de Drap *?
Je prie Dieu avec elle. Elle est d'une mai-
greur extrême. — « Elisabeth, as-tu peur? »
Elle me prend la main sans répondre, me re-
garde avec ses yeux fiévreux: « Missi, inu
tangoko pareu... Missi, je n'ai pas peur de
mourir ».
1 Ils sont environ une vingtaine, en comptant natas, femmes
et enfants.
2 Hélas, j'avais à peine terminé ma tournée que inarrivait la
nouvelle de sn mort ! Pauvre cher Drap, seul maintenant !
•r-" ■'•ti> ie _*ie r i .ni — ♦»it en
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- • i ^. — u •. Le 'i : ^ » { \*-.u: re** jl te! i .
-*- -*■■:- • ■ r Le - r r^e! »_>G.i-
VI
DE VOH A KOUMAG
Ouaco 23 août.
J'ai été de Voh à Ouaco sur un petit voilier
indigène conduit par deux hommes de Li-
fou. Bon vent, nous marchions à une grande
allure. J'ai beaucoup joui de cette course :
14 milles franchis en deux heures et demie.
Ouaco appartient, sur une étendue de
25,000 hectares, à une société privée (autre-
fois Digeon et C ie , aujourd'hui Ch. Prevet
et C ie ). Pour n'avoir pas connu cela, je me
mets dans une sotte position. J'arrive à la
pension alimentaire, que je prends pour un
hôtel. Je m'installe à table, puisque c'est
7
98 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
case vide et ses plantations envahies par les
grandes herbes.
Je remarque là quelques Canaques qui me
paraissent intéressants, intelligents. Je fais
observer au nata quelques plantations nou-
velles d'un bon travail : « Oui, dit-il, main-
tenant bons les Canaques ; autrefois toujours
la « flemme ! »
Visite au chef — lépreux encore. II parle
assez bien le français. Il a appelé son enfant
du nom du nata.
/ Mais il se plaint amèrement : « On Ta dé-
(pouillé de son terrain ». Voici la vérité : il
Ta vendu pour 600 francs et deux sacs de
riz. Aujourd'hui, les 600 francs sont dépensés
en vue d'un pilou et il faut laisser ses cases,
ses bananiers... aller plus loin. L'indigène ne
sait pas garder son argent. Dès qu'il en a, il
achète vêtements, alcool, tout ce qui a l'hon-
neur d'arriver premier à son cerveau.
Maintenant il est tout à fait nuit ; nous ren-
trons au petit pas par un chemin qui traverse
de grands pâturages, où les troupeaux de
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 103
prend mon sac photographique, et... en route
pour Gomen, à pied.
Il y a 25 kilomètres. Ce sera long, la jour-
née est chaude, n'importe... tout plutôt que
le supplice de paraître mendier. Je suis
malheureusement obligé de laisser mon gros
paquet : couverture de voyage et vêtements ;
— même mes papiers pour la correspondance
et le présent journal. Vingt-cinq kilomètres,
c'est bien long ! Nous n'en avons fait que
quinze et voici comment : nous avons suivi
trop docilement le fil télégraphique, il nous
a conduit à Téoudié ; mais peut-être trouve-
rons-nous ici un cheval.
Téoudié, qu'est-ce donc ? Un village cana-
que, un centre de colonisation — plus et
moins, une brigade de gendarmerie et... le
câble 1 .
Le câble, et, tout à coup, il nous semble
«que nous voilà à deux pas du monde civilisé,
•de l'Australie, de la France.
1 La Nouvelle-Calédonie est reliée à l'Australie par un câble
télégraphique. Pour la France, le coût des dépêches est de 6 fr.9*>
le mot, par la voie de Turquie et Singapore.
J 00 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Pauvre cher Drap ! Que Dieu lui soit en
aide! C'est une âme excellente, sensible, dé-
licateet, je crois, vraiment consacrée à Dieu.
Adieu, pauvre petit îlot aride et triste ! O Ga-
tope, puisses-tu fleurir un jour!
102 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
l'heure du repas. Mais je m'aperçois, à l'ac-
cueil étonné de mes voisins, que décidément
ce je n'y suis pas ». A la fin du repas, tout
s'explique. II eût fallu une autorisation du
directeur !
Gomment en sortirai-je à présent ? Im-
possible de louer un cheval pour poursuivre
ma route. Heureusement que j'ai pris avec
moi le nata Waziarim. A deux, nous finirons
bien par nous en tirer. A demain donc, car
« à chaque jour suffit sa peine. »
J'écris dans une petite chambre en bois...
de la Société privée toujours ! Cette chambre
est peinte en gris : décidément, tout est
gris !
Jeudi £4 août au matin.
Recherche d'un cheval : on me prévient
que c'est presque impossible, que le direc-
teur n'arrivera que dans une ou deux heures.
Ah oui, la belle galère !
Je prends mon sac de voyage, Waziarim
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 107
désert ! Moustiques *, puces, légions achar-
nées, sans pitié, sans trêve... oh, non !
Le jour est enfin venu. La matinée se passe
en courses inutiles pour trouver un moyen
de locomotion 2 , cheval ou bateau.
Rien, rien.
Il a plu dans la nuit. Je crois n'avoir jamais
tant vu de boue. Il faut se déchausser pour
passer les rivières, faire des bonds prodigieux
sur les flaques d'eau.
Causerie avec le nata Nidoïch, puis avec le
colon. La situation de la tribu est grave. Où
ira-t-elle? Elle se dispersera probablement 3 et
le nata, que fera-t-il ? Grave problème.
Il est midi. Il faut partir, encore et tou-
1 Les moustiques sont une plaie en certaines régions de la
Calédonie. On ne s'en préserve que par la fumée. Certaines per-
sonnes, pour lire ou écrire, s'enveloppent dans un moustiquaire.
J'ai vu des colons se mettre les jambes dans un sac avant de
manger. On double de cuir les chaises non rembourées... et, som-
me toute, rien n'est efficace, qu'une forte dose de patience.
2 En Calédonie, un cheval est indispensable pour quiconque
doit un peu voyager. La question des voyages sera une des plus
réelles difficultés du missionnaire calédonien. Il doit nécessaire-
ment être un cavalier ou le devenir.
3 J'ai pu m'entretenir avec le Gouverneur à ce sujet. Il ma
assuré que l'espace laissé à la tribu était plus que suffisant.
Depuis lors, les lettres du nata m'ont annoncé que la tribu sem-
blait se reformer et se grouper.
104 EN NOUVELLE-CALEDONIE
Quelle réception cordiale et charmante !
M, Cacot, le syndic de l'Immigration, chargé
des affaires indigènes en l'absence du chef
de service, m'avait précédé et ouvert la voie.
Je suis un peu attendu. Quelques mots font
le reste.
MM. C. etR., deux jeunes télégraphistes,
m'invitent à diner, à coucher même: non,
je veux partir après le repas. M. R. m'accom-
pagnera jusqu'à Gomen, pour me montrer le
chemin.
Et nous allons, nous allons, le long des
champs de niaouli 1 , sur les coteaux arides.
Voici la mer, voici des marécages où nous
enfonçons. Voici des canards sauvages, des
longs-cous, des perruches même, qui s'envo-
lent avec de longs cris aigus. Ruisseaux,
marécages, sentiers boueux et enfin, champs
fraîchement défrichés, — nous voici arri-
vés.
1 Niaouli — ce que M. Jean Carol, dans ses souvenirs devoyage
en Nouvelle-Calédonie, appelle « la forêt blanche ». L'arbre
calédonien par excellence, à la feuille parfumée, ressemblant à
celle de l'olivier. L arbre à thé des Australiens.
VII
A KOUMAC
A Ko u mac. — Masques de guerre.
Koumac. Samedi 26 août.
M
e voici reposé, bien reposé.
Mais les chemins sont devenus impra-
110 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
ticablcs et la tribu est à près d'une heure, au-
delà des marécages, du côté de la mer. Que
faire ? J'attends. J'utilise mon temps pour
rendre visite au délégué de l'Administration,
M. L..., homme aimable, bien disposé pour
notre œuvre. Il rend le meilleur témoignage
aux natas.
Voilà Sétéfano, nata à Poumé et Ouéde*
nata à Koumac. Bons amis, j'ai du plaisir à
les voir.
Mais ils m'annoncent que les chemins sont
impossibles. Il faut, paraît-il, prendre ce mot
à la lettre. Je me tiendrai donc coi, mor-
tellement ennuyé de ne rien faire et de ne
rien voir venir. Ce dernier « rien », c'est tout,
car c'est mon paquet resté en arrière : donc, pas
de vêtements de rechange, pas de papier
Enfin, je finis par découvrir une feuille blan-
che et j'écris une lettre.
Dimanche 27 août.
La pluie a, cette nuit, redoublé d'intensité.
Ce matin, il y a une accalmie. Je veux, à tout
EN NOUVELLE-CALEDONIE 111
prix, me rendre à la tribu. Il le faut. Mais que
d'eau, que d'eau ! Je me hisse sur le dos de
mon pauvre nata, qui a de l'eau jusqu'à mi-
corps et delà vase argileuse jusqu'aux genoux.
Enfin, après trois quarts d'heure d'efforts
désespérés, nous arrivons.
Une bonne petite case : c'est la demeure
du nata. Tout mon monde y est rassemblé:
Sétéfano et sa femme, Waziarim, Nidoïch,
Washitine et sa femme, et enfin Pitre, qui
arrive tout trempé, avec mon paquet.
Je déjeune. On a fait les choses magnifi-
quement.
Voici quelques Canaques : chef à la veste
rouge, hommes et jeunes filles du village.
Tout ce monde va et vient, convenablement
vêtu. C'est vraiment un heureux contraste
avec ce que j'ai vu précédemment. Je vois
aussi avec plaisir que la femme ne se cache
pas comme une esclave. Les visages sont plus
ouverts. On croirait même que la teinte est
plus claire: oui, un rayon de soleil est passé
par là.
«>irVQ^2njUl
— raffinais
Vv'.< "tu* .
■i.-t:xr .'.ni-TTii mjrUMt*.
sont six: 2 do Pou me. :i de »jama. I de
Kounuu*. Ceux de Pou me me frappent par
leur air vraiment sérieux et intelligent. Les
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 113
autres sont assez âgés et leur figure porte les
traces d'un long temps de ténèbres.
Je les interroge, je prie avec eux.
Puis, la réunion générale, qui groupe une
cinquantaine de personnes. Tous les indi-
gènes qui habitent de l'autre côté de la rivière
n'ont pu venir.
Les hommes sont la majorité.
Je parle de l'aveugle guéri, Bartimée. Je dis
notre désir, notre amour de frères : nous vou-
drions les conduire sur le chemin, tout lu-
mière, qu'est Jésus...
Je parle en maréen, c'est la première fois.
Ouède me traduit dans la langue de Koumac 1 .
Washitine parle ensuite. Puis viennent les
baptêmes. Ouède fait la prière.
Il y a eu aussi deux baptêmes d'enfants :
Flora Sétéfano et Watiti Washitine.
A 2 heures, service de Sainte Cène pour
les natas et les nouveaux baptisés.
1 Voir ci-après, p. 236, le « spécimen des dialectes calédoniens ».
Le dialecte de Koumac n'est plus le même que celui de Voh.
114 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Je suis heureux de parler à cet auditoire. Je
me sens en communion avec eux.
Je parle sur la guérison de l'enfant démo-
niaque, ce Cette sorte de démon ne sort que
par la prière et le jeûne. » N'est-ce pas cela
aussi, pour le démon du paganisme, surtout
lorsqu'il s'est doublé de celui de l'alcool?
Et ce culte de Sainte Cène, n'était-il pas
comme une prise de possession? Non pas seu-
lement de Christ par les siens, mais de cette
partie de la Nouvelle-Calédonie pour le Christ ?
Nous avons là, sur cette terre de Koumac,
pour la première fois sans doute, célébré le
souvenir de la mort de notre Maître — et de
sa vie.
Entretiens avec les natas. Décisions di-
verses. Nous parlons de leurs difficultés, du
futur missionnaire... Dieu hâte son arrivée!
Nos amis l'attendent et nos pauvres tribus en
auraient un si grand besoin !
Il doit être un homme aimable, mais il doit
être surtout un vaillant et volontiers je me,t-
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 115
trais sur lui les trois mots par lesquels le
pasteur Ch. Wagner a désigné trois de ses
livres : jeunesse — vaillance — justice.
Koumac Lundi soir 28 août
Me voici encore seul : je passe en revue
les événements du jour.
Matinée de réflexions, de combinaisons, de
préparatifs divers. J'écris quelques lettres.
1 heure. Je me rends à la tribu. Nouveaux
sauts de géant sur les ruisseaux fangeux et,
lorsque le marécage est trop large ou trop
profond, je fais le singe sur le dos des Cana-
ques. Quelle boue !
J'essaie quelques photographies.
— « Il faut voir le grand chef, » me dit-on.
— « Est-ce loin ? — Non, c'est tout près. »
Oh, ces Canaques ! Près d'une heure à
travers des marécages! Sétéfanome porte, en
su qualité dm géant ; mais il s'embourbe jus-
116 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Visite au chef. Homme vraiment intéres-
sant : le premier indigène baptisé, ainsi que
sa femme.
Retour parmi les fondrières et causerie
avec les natas. Je résume :
Lèpre. Voici les chiffres qui me sont don-
nés, il sont certainement au-dessous de la réa-
lité : Gomen 2, Païta 3, Koumac 1, Né-
jama 5, Poume 2. Ces lépreux vivent avec le
reste du peuple et la contagion se répand.
D'ailleurs, la lèpre n'est pas aussi contagieuse
qu'on a pu le dire ; mais un contact journa-
lier, une promiscuité quotidienne et surtout
une saleté qui n'a pas de nom, sont une con-
dition plus que suffisante pour la libre propaga-
tion de la maladie. Quelques blancs — par
leur mauvaise conduite souvent — en sont
atteints.
Ivrognerie. Un mot résume la situiUî
le même pour toutes les tribus: elle
partout. Et presque partout la femme, lo
SB*
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 119
qu'elle le peut, boit autant que l'homme. Tous
les chefs, à quelques exceptions près, en sont
là, et donnent un déplorable exemple.
Libérés. Ils sont partout, eux aussi, vivant
surtout au milieu des tribus et toujours à leurs
dépens. Vente d'alcool, marchés inqualifia-
bles: par exemple, toute une récolte de co-
prah { pour deux ou trois bouteilles de tafia.
Autorités. Les autorités sont favorables et
bienveillantes pour les natas et leur œuvre.
Pour Gomen et Païta : gendarmerie à
Téoudié.
Pour Koumac et Néjama: commissaire de
police de Koumac.
Pour Pou me : gendarmerie de Ouégoa.
Puisque je parle ici des autorités, que je
cite un fait :
Les « Pères » ne sont pas parmi les auto-
^ Qn m' a cité plusieurs cas de ventes semblables. Lorsque Tin-
alcoolique, ;i *-* fatalement voué à la spoliation —
120 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
rites, mais ils essaient... Or donc, un de ces
messieurs arrive, le 23 octobre, dans la tribu
de Koumac et interpelle le nata :
« Taio, qu'est-ce que j'entends ? Il paraît
que tu troubles cette tribu !... Qui t'en a
donné l'autorisation ?
— - Le missionnaire et l'administration !
— Tu n'as pas à travailler ici ; c'est
mon travail, à moi.
— Les chefs et la tribu m'ont appelé ici ;
donc mon devoir est d'y travailler, répond
fort sagement le nata. De plus, mon mis-
sionnaire est venu jusqu'ici et il a approuvé
mon travail.
— Eh ! bien, dit le Père, reste, si cela te
plait; souviens-toi seulement qu'il faudra me
donner une redevance — car tout ceci est à
moi. ))
Le cher « bon Père ! » Il perdra sa peine
avec mes natas, car ils sont têtus, nos Ma-
réens... j'en sais quelque chose !
Cultes. Les réunions du dimanche sont, à
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 121
peu de chose près, dans le même ordre et aux
mêmes heures qu'à Mare, c'est-à-dire: 9 heu-
res, les enfants; 10 heures, culte pour adul-
tes; 2 h., enfants ; 3 h., adultes.
Plusieurs ont la prière matin et soir, tous les
jours.
Rencontres mensuelles pour les quatre
natas de Gomen et Koumac, avec Sainte
Cène. — Poume étant trop éloigné, Sétépha-
no est donc seul. Mais je leur ai dit de se
réunir tous au moins une fois Tan.
Baptêmes. Jusqu'ici, dans le district, onze
personnes baptisées : quatre à Koumac,
trois à Néjama, deux à Gomen, deux à
Poume.
Il y en aura prochainement à Païta.
A Poume, plusieurs femmes seraient en
état de recevoir le baptême ; mais il y a une
difficulté spéciale. Le nata fera pour le mieux.
ttÉMftjjj^murhien des questions, le mis-
sioÉJ^^^^^^^^B >era lui-même et don-
122 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
nera des règles : jusque-là s'en tenir aux ha-
bitudes et coutumes de Mare.
Mais je recommande aux natas:
la propreté pour eux et leurs enfants ;
la politesse envers fonctionnaires et colons,
la plus grande moralité ; ^
pas d'alcool, sans aucun prétexte ;
pas de tabac — comme à Mare du reste 1 .
L'exemple! lisseront puissants par l'exem-
ple. Je prie avec eux, et nous nous séparons.
Waziarim me laisse. Il va s'en retourner dès
demain. Nidoïch et Pitre partent aussi.
Voici, en quelques mots, la caractéristique
des nata.
Nidoïsh : peu spirituel, mais aimable, em-
pressé. — Est-il véridique?
Pitre : nature effacée, timide, mais bien
disposée.
1 A Mare, il est interdit aux natas de fumer. C'est une règle
très ancienne, qui date sans doute du premier missionnaire. Il
n'en est pas de même à Lifou.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 123
Ouède: un homme habile, travailleur. Rem-
plaçant peu de spiritualité par beaucoup de
zèle. Intéressé.
Washitine: moins habile, mais plus franc.
Bonne nature.
Sétéfano : instruit, adroit, peut avoir des
moments d'entêtement ; mais reste cepen-
dant bien supérieur aux autres. Habile char-
pentier.
Une grande et grave question me préoc-
cupe, pendant que je m'en retourne à la sta-
tion. Devant les progrès de la colonisation,
l'indigène doit reculer, reculer toujours
Mais le nata, qui travaille dans la tribu, doit
partager son sort. Il a travaillé, lui : temple,
case, cultures... que devient tout cela? C'est
décourageant.
Ainsi Gomen : plus de terre, plus de case,
plus de temple ; que fera le nata? Le peuple
se disperse.
Le Gouverneur ma concédé, pour chaque
nata, dmxhcc tares de terrain. Le mission-
124 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
naire qui viendra devra s'occuper de cela im-
médiatement et faire régulariser ces con-
cessions.
La question des moyens de communication
me préoccupe aussi. Sétéfano a de nombreu-
ses îles à visiter, et il n'a pas de bateau. Il
m'interroge à cet égard : je réfléchirai.
VIII
DE KOUMAC A HOUAILOU
Mardi 29 août.
Départ de la station à 7 heures 1/2. Arri-
vée à 8 heures 1/2 à Néjama, la tribu où
travaille Washitine.
Case très bien faite, propre. Temple sem-
blable à celui dcKoumac. Tandis qu'à Gatope,
Ujo, Voh, etc., personne n'aide les natas
à construire leurs cases, il n'en est plus de
même à Roumac et dans les tribus environ-
nantes. Je visite le village — mais les cases
en sont très dispersées.
Nous reprenons notre course,
e dis « nous », soit : Washitine et moi.
126 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Dans ces régions, où les chemins ne sont
guère que des sentiers à peine tracés, où les
maisons d'habitation sont rares — quand il y
en a — , il est peu prudent de voyager seul, à
cause des libérés et surtout des évadés qui
tiennent la brousse. Cependant, pas un ins-
tant dans tout mon voyage, je n'ai eu la
moindre alerte.
Notre butest Ouégoa,à 49 kilomètres. Heu-
reusement que j'ai pu me procurer un che-
val.
Chemin assez monotone, encombré par les
arbustes et les grandes herbes, raviné pres-
que partout. On traverse un nombre incalcu-
lable de ravins, de ruisseaux, et, quant aux
collines à franchir, mieux vaut ne pas es-
sayer de compter.
Certains ruisseaux sont absolument déli-
cieux, bordés de fougères, de lianes, de
sicas. Pas un être humain, pas une cabane,
et l'on va ainsi, de colline en colline, pen-
dant près de 47 kilomètres.
Arrivé sur la hauteur où l'on franchit la
EN NOUVELLE-CALEDONIE
127
ligne de faîte, on découvre, comme en un
vaste panorama, toute la vallée du Diahot 1
jusqu'à la mer. C'est vraiment beau.
Sur le Diahot, un bac (gratuit) transporte
aisément piétons et cavaliers. Voici Ouégoa,
ou, plus exactement, son débarcadère, le
Caillou. C'est là que je descends à l'hôtel.
A Ouégoa même se trouve une gendarme-
rie, une commission municipale, un bureau
de poste. Le centre est mixte, c'est-à-dire,
pénitentiaire et agricole.
Mercredi 30 août.
Me voici prisonnier. Le « Saint-Antoine »
n'arrivant que demain à Pam, il est inutile
d'y descendre aujourd'hui. Visite au centre
d'Ouégoa, à la gendarmerie, à la poste.
Conversations intéressantes. Vraiment, la
brousse 2 n'est pas aussi dépourvue que je
l'aurais cru.
1 Le Diahot est le plus grand fleuve calédonien : c'est même le
seul. Il a loi) km. environ. Les autres cours d'eau ne sont
guère que des rivières. Diahot, en langue indigène, signifie
« gggfg^givière ».
c'est la désignation communément em-
►tout ce qui n'est pas le chef-lieu.
128 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Il ne me reste ensuite qu'à m'enfermer
dans le joli petit kiosque qui me sert de
chambre, et là, à écrire. C'est ce que je fais.
Jeudi 31 août.
Départ pour Pam, en bateau, sur le Diahot.
M. Cacot fait le voyage avec moi. Jolie des-
cente sur le fleuve. Déjeûner sur un îlot — il
faut nous enfermer pour échapper aux mous-
tiques.
Voici Pam, port de la vallée du Diahot,
bureau de poste et télégraphe. Nous explo-
rons les alentours : c'est assez triste. Seule,
la mer est toujours belle.
Il faut se résigner à coucher à Pam : le ba-
teau n'arrive pas.
Vendredi J ev septembre.
M. C. part au petit jour pour visiter les
tribus qui avoisinentla mine Pilou.
Le « Saint-Antoine » est en vue à (5 heures.
Ce vapeur a des formes moins élégantes que
H
EN NOUVELLE-CALEDONIE
129
le « Saint-Pierre », mais il est très conforta-
ble à l'intérieur et me semble plus propre.
Dnns lit haie di Pam (Vue prise du bateau).
îitaine X..., que Ton dit bigot, et que
hersant et pieux — sans trop
mis avons ensemble sur la pas-
130 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
serelle supérieure de très longues conversa-
tions sur des sujets religieux.
Le premier mécanicien devient bientôt
pour moi une aimable connaissance et cela
grâce... au Congo ! Il a été quelque temps
mécanicien sur 1' «Avant-Garde », qui des-
sert les postes de TOgowé. Il connaît très
bien MM. Allégret et Teisserés.
La côte est monotone. Les montagnes se
dressent abruptes et sombres. Du reste, le
temps est gris.
Voici Oubatche. Voici Hienghène, connu
par ses « Tours Notre-Dame. » Sévères, impo-
santes dans leur amas sombre de roches noir-
cies, ces tours, œuvre de la nature, vues
d'un certain endroit — et avec de la bonne
volonté — ressemblent quelque peu à leurs
homonymes de Paris.
Nous mouillons à Tipindjié. Mer calme.
2 septembre.
Au petit jour, nous chargeons 205 sacs de
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 131
café — soit plus de 2,000 tonnes... De petits
Chinois bizarres se démènent comme des fous
et font un travail inouï...
Touho, Wagap, Ponérihouen : à chaque
mouillage, un ou plusieurs « bons Pères »
montent à bord. Ils sont tous des familiers
du capitaine.
Il nous est impossible d'arriver à Houaïlou
avant la nuit. On mouille n'importe où. Il n'y
a aucun roulis. La côte Est est beaucoup plus
sûre que la côte Ouest. On peut constamment
naviguer à l'abri des récifs.
IX
PREMIER SÉJOUR A HOUAILOU
Dimanche 3 septembre.
Déjà vers 4 heures 1/2, nous sommes en
route. Vers 5 heures, de faibles lueurs
annoncent le jour. Le temps reste nuageux.
Je débarque à 6 heures avec le canot chargé
du courrier. II n'y a pas de barre. On re-
monte la rivière * aisément, quoique à marée
basse.
Voici le village : quelques maisons épar-
ses le long d'une route ombragée. Les en-
fants du nata sont là — ils vont m'annon-
cer à la tribu.
Boa-Ma, qui se jette dans la mer par trois bras, dont
vigable pour les barques de pêrhe ou les chalands
134 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Je descends à l'hôtel Renevier — ancien
hôtel Girard — et j'attends Kanéné h
Pour ne perdre aucun instant, je fais une
visite au commandant du poste militaire,
l'adjudant A... charmant, aimable : causerie
facile et attrayante. Il s'intéresse beaucoup
à notre œuvre. Il avait même, pendant un
temps, essayé de donner des leçons de fran-
çais aux natas.
Voici mes natas : Jeimes, Kanéné, et quel-
ques hommes de la tribu.
Mon courrier est là aussi. Quel bonheur
d'avoir des lettres ! Je me réfugie dans ma
chambre pour lire.
A 1 heure, je me rends à la tribu, dis-
tante du centre européen de 15 à 20 mi-
nutes.
Je remarque que, sur cette côte, les cases
sont construites un peu différemment. Les
1 Kanéné — ancien nata u Nouméa, actuellement nata à Mare.
Connaît les trois langues de Ouvéa, Lifouet Mare. Je l'avais pris
avec moi comme interprète auprès des natas de Houaïlou, qui
sont de Lifou et d'Ouvéa. Il m'a rejoint directement à Houaïlou.
*
1
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 137
hommes me paraissent plus sains, plus intelli-
gents.
Visite à la case de Jeimes, à celle du chef
Mindia. Zikoziko arrive — le bon petit vieux !
Et, avec lui, une foule de braves gens endi-
manchés et très propres, des femmes, des
enfants.
Voici l'heure du culte. Kanéné et moi par-
lons à un auditoire très attentif.
Le temple est très simple, en paille tou-
jours. Il existe quelques chants, tout un
petit recueil manuscrit.
Un spectacle s'offre à mes regards, au retour
de ce culte.
Je viens de quitter mes braves gens endi-
manchés : les hommes avec de vrais com-
plets, les femmes avec de vraies robes. . . Voici
que, tout à coup, je me trouve en présence des
païens du village qui rentrent des champs.
D'abord, marchant en tête du cortège, un
grand sauvage, tout nu, les cheveux en brous-
saille, la sagaie à la main. Derrière lui, despo-
tes, tatouées et flétries, chargées de lourds
138 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
fardeaux d'ignames et de taros — et, pour
tout vêtement, la courte ceinture en herbes
fines.
Oh, quel contraste !
J'aurais dû m'y attendre, et voici que je suis
tout interdit, comme un homme qui lirait le
soir et auquel tout à coup on éteindrait la
lampe.
Ainsi donc, le vrai paganisme se maintient,
se perpétue, semblable à lui-même, malgré la
civilisation toute proche et malgré l'exemple
de la fraction du peuple devenue chrétienne.
Je rentre à l'hôtel réfléchissant à ces
choses.
Je me replonge dans la lecture de mes chè-
res lettres — les premières reçues depuis
près d'un mois...
Lundi matin, 4 septembre.
Nous partons de bonne heure, à pied. Quel-
ques jeunes gens, avec Zikoziko et Kanéné,
m'accompagnent.
DISTRICT t-iHOW'lLOU
ï Templt «t nata
i j\
li Nombre dinncx*»
• Tnbu qui Jeun un nita
140 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Arrêt à trois kilomètres de Houaïlou, chez
M. Girard.
M. Girard, d'origine suisse, a passé à peu
près toute sa vie en Calédonie. Protestant,
très bienveillant pour les indigènes, il suit
avec grand intérêt l'œuvre de mission parmi
les Canaques.
Le bon, le généreux M. Girard ! Il m'ac-
cueille comme un ami, comme un hôte attendu
et désiré. Il comble mes Canaques de pain,
de conserves, de provisions de route.
Hohane, le nata de Nediwa, vient à notre
rencontre. C'est un Ouvéa. Figure amaigrie,
très noire. Physionomie intéressante, origi-
nale. Il me fait l'effet d'être timide.
La route où nous marchons, et qui va
d'Houaïlou à Bourail, est agréable. Elle suit
la rivière aux mille détours. Certains pay-
sages sont extrêmement jolis.
Nous passons près de la station S., dont le
gérant est, paraît-il, protestant.
A 14 kilomètres de Houaïlou, voici le vil-
i
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 141
lage de Néchakoya. On connaissait notre ar-
rivée. Voici le nata Jacobo, les chefs, les pro-
testants, et même quelques catholiques. Plus
loin, accroupis sur le sol, les païens nous re-
gardent curieusement. Encore là, quel con-
traste entre ces gens à peu près nus, têtes
ébouriffées, vrais sauvages, et nos gens,
à la figure réjouie, nos gens, qui chantent et
qui, dans un instant, écouteront au temple,
dans une attitude recueillie, le message de
paix !
Et je ne puis m'empêcher de penser au dé-
moniaque ce guéri, vêtu et dans son bon
sens. »
Voici une nouvelle surprise : c'est le tem-
ple. Un superbe travail, en écorcede niaouli
et paille. Il est élevé sur remplacement de
l'ancienne case à pilou. Je n'ai pas vu —
même à Mare, où pourtant Ton ne travaille
pas mal, — un simple temple en paille et
bois où se trouvent ainsi réunis le confor-
te joli, l'aération, la solidité — en
142 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
un mot tout ce qu'il faut à un temple indi-
gène dans nos pays chauds.
La case du nata est très simple, mais pro-
pre.
Baptiste — un nom à retenir — chef de
Gondé, est là aussi. Jeune homme intéres-
sant, parlant très bien le français. C'est lui
qui fait l'intérim de grand chef pour la vallée
de Houaïlou, en l'absence de Mindia —
ou Mindja, le grand chef de Houaïlou, interné
en ce moment à Nouméa, pour cause d'ivro-
gnerie et de delirium tremens.
Repos, culte, chant.
On fait sortir un lépreux du temple. C'est
une scène pénible — mais il est bon qu'on
veille à cela.
Un petit détail encore, qui, pour moi, revêt
une signification touchante. Sur un poteau,
devant le temple, on a dressé une vieille po-
terie fendue, un vase très ancien et d'un
style grossier, mais on l'a empli de terre et
on y a planté des fleurs. C'est si joli ainsi !
Vieille tribu canaque, grossière et perdue
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 143
dans le péché, Christ t'a retrouvée, et mainte-
nant, replacée dans le temple de Dieu, tu peux
fleurir à sa glaire ! Poterie d'argile, mais
choisie par le maître — quel est celui des
serviteurs de la maison auquel le Seigneur
dira : ce Toi, va arroser mes fleurs du vieux
vase fendu? »
Il est deux heures : nous devons penser
au retour. Le chef m'a fait chercher un
cheval.
Nous laissons bientôt la route à notre droite,
nous dirigeant vers la boucle que forme la
rivière.
Nous marchons longtemps, à travers des
plantations à l'européenne. Enfin voici le vil-
lage de Nediwa. Très petit temple, mal cons-
truit, mal aéré. On s'y empile.
On chante frénétiquement — c'est à se bou-
cher les oreilles.
Beaucoup d'enfants.
Je remarque un jeune homme de 16
me paraît désireux de s'instruire. Il f
14ï EN NOUVELLE-CALEDONIE
son ardoise, comme à l'école. Son nom est
Maraba.
Le lendemain de ce jour, la mère et le frère
aîné du jeune homme (le père est mort) me
faisaient offrir Maraba. Et... je l'ai pris avec
moi à Mare. Je vais essayer de le dégrossir,
de lui apprendre à lire, à écrire et, plus tard,
nous verrons ce qu'il peut faire.
Voici le soir, Houaïlou est à 7 kilomètres.
Je reviens en traversant deux fois la rivière.
Je m'arrête encore quelques instants chez
M. G.
Ma journée est terminée. Et maintenant,
dans ma modeste chambre d'hôtel, je réunis
ici mes souvenirs.
Mardi 5 septembre, matin.
J'aurai plus de temps aujourd'hui. Je vais
en profiter pour quelques visites.
1° A la gendarmerie. Le brigadier parle peu,
mais dit qu' « il n'a pas à se plaindre des
natas — au contraire. » Mais le français... le
français ! C'est la plainte constante des fonc-
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 147
tionnaire à l'égard des natas. Quelques caté-
chistes de la côte Ouest connaissent quelques
mots de français. Mais sur la côte Est... rien,
rien. Par contre ils savent passablement
d'anglais et de « biche-la-mar. »
2° Au fort, ou poste militaire. En compagnie
de l'adjudant, j'étudie les cartes de l'arron-
dissement.
Au retour, l'adjudant me fait visiter la
« maison de l'Arrondissement 1 . » On pour-
rait en faire la future résidence du mission-
naire. La chose est vraiment possible et me
paraît même excellente. Je reviens plein de
cette idée.
Les natas m'attendent. Nous allons à
Waraï : c'est à li kilomètres. Il faut traverser
la rivière de Houaïlou, le Boa-Ma, et un autre
bras de rivière ; mais deux bacs rendent la
chose facile. II est plus ennuyeux qu'utile
;elée parce que, autrefois, chaque chef-lieu d'arron-
administrateur chargé des affaires indi-
ppeléc « Maison de l'Arrondisse-
'«s que trois administrateurs char-
148
EN NOUVELLE-CALEDONIE
d'avoir un cheval avec soi pour cette petite
course.
Quelques colons sont établis le long du
chemin de la tribu.
Belles caféeries.
La tribu me paraît assez nombreuse. Le
temple est trop petit, on y étouffe. Oh! les
odeurs qui s'échappent de cet amoncellement
de corps *.
Dans la foule, j'aperçois deux ou trois lé-
preux. Beaucoup de femmes.
Le nata Joané est un Ouvéa. Sa maison et
le terrain qui l'entoure, tout cela est d'une
rigoureuse propreté.
La physionomie de ce nata a quelque chose
de particulier ; le regard est lumineux d'intel-
ligence et brille lorsqu'il parle. Il traduit aisé-
ment, Ranéné. Je m'exprime soit en français,
soit en Mare ; Kanéné traduit en Lifou ; Joané
traduit, à son tour, en dialecte de Houaïlou.
1 Un parfum ocre, qui caractérise nos indigènes océaniens.
Tous ne le possèdent pas au même degré. Mais il m'est parfois
impossible de me pencher sur l'épaule de certains de mes élèves
pour examiner leur travail : ils sont par trop odorants.
EN NOUVELLE-CALEDONIE
149
A quelque distance sont les païens.
Oh, la puissance de l'exemple! L'attitude,
la coiffure, les cheveux, les vêtements de
ces gens qui m'entourent sont transformés.
Et comme ils écoutent!
Plusieurs connaissent le français : ainsi,
l'interprète Maurice.
Je retourne a Ilouaïlou après le culte,
non sans avoir désigné remplacement du nou-
veau temple, qui doit remplacer l'ancien, dé-
cidément trop petit.
L'après-midi, je fais seller mon cheval et,
d'un saut, me voici chez M. G.
J'y arrive tout plein de mon idée. Nous en-
trons aussitôt en matière. Je lui expose mon
plan pour la maison de l'Arrondissement. Il
croit la chose faisable.
F., l'homme d'affaires de M. (}., nous aide
de ses conseils. La maison, dans l'état où elle
8e I rui i V fi a cluelIcnicuLa peu de valeur (VMM)
i )\\ nr viuf ^'iièiv d acqué-
148
EN NOUVELLE-CALEDONIE
d'avoir un cheval avec soi pour cette petite
course.
Quelques colons sont établis le long du
chemin de la tribu.
Belles caféeries.
La tribu me paraît assez nombreuse. Le
temple est trop petit, on y étouffe. Oh! les
odeurs qui s'échappent de cet amoncellement
de corps *.
Dans la foule, j'aperçois deux ou trois lé-
preux. Beaucoup de femmes.
Le nata Joané est un Ouvéa. Sa maison et
le terrain qui l'entoure, tout cela est d'une
rigoureuse propreté.
La physionomie de ce nata a quelque chose
de particulier; le regard est lumineux d'intel-
ligence et brille lorsqu'il parle. Il traduit aisé-
ment, Kanéné. Je m'exprime soit en français,
soit en Mare ; Kanéné traduit en Lifou ; Joané
traduit, à son tour, en dialecte de Houaïlou.
1 Un parfum acre, qui caractérise nos indigènes océaniens.
Tous ne le possèdent pas au même degré. Mais il m'est parfois
impossible de me pencher sur l'épaule de certains de mes élèves
pour examiner leur travail : ils sont par trop odorants.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 149
A quelque distance sont les païens.
Oh, la puissance de l'exemple! L'attitude,
la coiffure, les cheveux, les vêtements de
ces gens qui m'entourent sont transformés.
Et comme ils écoutent!
Plusieurs connaissent le français : ainsi,
l'interprète Maurice.
Je retourne à Houaïlou après le culte,
non sans avoir désigné l'emplacement du nou-
veau temple, qui doit remplacer l'ancien, dé-
cidément trop petit.
L'après-midi, je fais seller mon cheval et,
d'un saut, me voici chez M. G.
J'y arrive tout plein de mon idée. Nous en-
trons aussitôt en matière. Je lui expose mon
plan pour la maison de l'Arrondissement. Il
croit la chose faisable.
F., l'homme d'affaires de M. G., nous aide
de ses conseils. La maison, dans l'état où elle
se trouve actuellement, a peu de valeur (4,000
francs peut-être.) On ne voit guère d'acqué-
reur possible.
10
148 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
d'avoir un cheval avec soi pour cette petite
course.
Quelques colons sont établis le long du
chemin de la tribu.
Belles caféeries.
La tribu me paraît assez nombreuse. Le
temple est trop petit, on y étouffe. Oh ! les
odeurs qui s'échappent de cet amoncellement
de corps *.
Dans la foule, j'aperçois deux ou trois lé-
preux. Beaucoup de femmes.
Le nata Joané est un Ouvéa. Sa maison et
le terrain qui l'entoure, tout cela est d'une
rigoureuse propreté.
La physionomie de ce nata a quelque chose
de particulier; le regard est lumineux d'intel-
ligence et brille lorsqu'il parle. Il traduit aisé-
ment, Ranéné. Je m'exprime soit en français,
soit en Mare ; Ranéné traduit en Lifou ; Joané
traduit, à son tour, en dialecte de Houaïlou.
1 Un parfum acre, qui caractérise nos indigènes océaniens.
Tous ne le possèdent pas au même degré. Mais il m'est parfois
impossible de me pencher sur l'épaule de certains de mes élèves
pour examiner leur travail : ils sont par trop odorants.
X
AU NORD DE HOUAILOU
Monéo Mercredi 6 septembre.
Me voici dans une case noire, noire. Il
est 7 heures du soir. La journée est donc
à peu près terminée — c'est le moment du
ressouvenir.
Départ ce matin, à 7 heures.
Passé par la tribu de Waraï.
Notre petite caravane grossit d'instant en
instant. Je note, en passant, que cette tribu de
Waraï se trouve placée au confluent de deux
rivières, que lçs cultures y sont faites avec
un grand soin. Ces gens travaillent.
Dans la mesure où une tribu travaille pour
152 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
elle, à ses cultures, dans la mesure aussi où
elle reçoit l'Evangile... on peut dire sûrement
que, dans la même mesure, elle se relève.
C'est, je crois, le cas actuellement pour quel-
ques tribus du district de Houaïlou.
Ici et là, quelques colons. Ananas super-
bes.
Sur la route de Bâa, à 4 kilomètres, on ren-
contre une petite tribu, Nekoué, dont le chef
est protestant.
Ce chef de Nekoué était fâché contre son
frère : plus encore, son ennemi juré. On me ra-
conte cela et voici que nous rencontrons le
frère en question. Je parle au chef... il me
comprend, court au devant de son frère et
lui serre la main, s'assied à côté de lui...
Deux kilomètres plus loin, il nous rejoignait
en courant :
— « C'est fait » dit-il !
Superbe banian.
Sur la route j'ai un entretien intéressant
avec M. le président de la commission muni-
, litttt .
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 155
cipale de Houaïlou. Il me rend un très bon
témoignage des natas.
Lui aussi me confirme le fait : Les « taïos »
protestants ne boivent pas. Il a du reste des
ennuis avec la mission catholique voisine.
Voici, au neuvième kilomètre, Kaora une
annexe de Bâa, avec temple. Réception tou-
chante, dons d'ignames et de poules.
Enfin, voici Bâa. Nata Haxën, presque un
vieillard, mais solide encore et fortement
charpenté. Il a sept enfants, dont quatre avec
lui, les autres aux Loyalty.
Il a été nata en Nouvelle-Guinée pendant
quatorze ans. Un autre (Jacobo) a travaillé
dans ce champ de mission, dix ans. Nous ne
sommes donc plus en présence de débutants :
ce sont de vieux guerriers qui maintes fois
déjà ont vu le feu.
Un incident — amusant, s'il n'a pas d'autres
conséquences — marque notre arrivée.
Jace du village, vis-à-vis la case du nata,
dressé au sommet d'une longue
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 155
cipale de Houaïlou. Il me rend un très bon
témoignage des natas.
Lui aussi me confirme le fait : Les « taïos »
protestants ne boivent pas. Il a du reste des
ennuis avec la mission catholique voisine.
Voici, au neuvième kilomètre, Kaora une
annexe de Bâa, avec temple. Réception tou-
chante, dons d'ignames et de poules.
Enfin, voici Bâa. Nata Haxën, presque un
vieillard, mais solide encore et fortement
charpenté. Il a sept enfants, dont quatre avec
lui, les autres aux Loyalty.
Il a été nata en Nouvelle-Guinée pendant
quatorze ans. Un autre (Jacobo) a travaillé
dans ce champ de mission, dix ans. Nous ne
sommes donc plus en présence de débutants :
ce sont de vieux guerriers qui maintes fois
déjà ont vu le feu.
Un incident — amusant, s'il n'a pas d'autres
conséquences — marque notre arrivée.
En face du village, vis-à-vis la case du nata,
fièrement dressé au sommet d'une longue
156 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
perche, flotte un drapeau... anglais! Hor-
reur ! Un gendarme vient de passer sur le
chemin !
Nous avons vite fait de « baisser pavillon »
... et le nata reçoit une « chasse » en règle.
Le pauvre homme ! anglais, portugais ou
belge... il en ignorait. Pour lui, c'était un dra-
peau et c'était assez. Il l'avait déniché dans
ses souvenirs d'autrefois, en Nouvelle-Guinée,
et il avait pensé que cela ferait très bien au
haut d'une perche...
Brave nata, il ne se doute guère qu'avec son
drapeau, les « bons Pères 1 » et C ie peuvent
trouver matière à toutes les calomnies.
Mercredi 6 novembre 1899.
La tribu est formée de deux agglomérations,
l'une sur le penchant de la montagne, l'au-
tre dans la plaine, au bord de la rivière et
i On ne se figure pas — même dans les milieux catholiques
— la multitude de « bons Pères » qui travaillent la Nou-
velle-Calédonie. J'ai réussi à me procurer 85 noms de « reli-
gieux, » pères et frères, et ma liste n'est pas complète. Ils sont
une armée. S'étonner après cela qu'ils puissent pétrir à leur
guise une colonie naissante !
EN NOUVELLE-CALEDONIE
157
tout près delà mer. C'est dans cette deuxième
partie que se trouve le temple, tandis que le
nata habite sur la hauteur.
Il n'y a plus de
païens et seulement
deux catholiques. Le
nata me dit ne plus
connaître aucun cas
d'ivrognerie.
Mais voici le mo-
ment de la réunion.
Une vieille pirogue
fait l'office de clo-
che : on tape dessus
à tour de bras.
Ici les têtes me
paraissent moins in-
telligentes, le regard
est moins vif. Le
chant est bon. Beau-
coup d'enfants. Le
peuple semble se
relever.
158 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Encore une fois : comme ils écoutent, et
comme ils chantent, dans le frais et joyeux
enthousiasme de leur vie transformée !
Je remarque pourtant qu'ils sont moins vê-
tus qu'ailleurs ; plusieurs n'ont que le ce raa-
nou * » .
Il est plus de deux heures. J'ai pris plu-
sieurs vues photographiques. Il faut seller, et
lestement. Nous partons au galop.
Paysage plutôt monotone. Cependant, ici et
là, la végétation est superbe. C'est là que j'ai
vu les plus beaux spécimens de fougères ar-
borescentes, s'élevant à de grandes hauteurs,
avec une couronne de fleurs mesurant de 2 à
3 mètres.
Monéo est à 9 kilomètres de Bâa et à 23 de
Houaïlou.
Entrée triomphale entre deux rangées de
superbes « taïos 2 » et de ccpopinées» irrépro-
1 « Manou » — pièce d'étoffe, généralement de couleur claire :
rouge, bleue, jaune à grandes fleurs blanches. Il en faut 1 m. 50
à 2 m. pour faire un a manou ». On serre cela autour des
reins... Voilà un costume superbe et suffisant.
2 « Taïo » o popinée » (homme, femme) font partie de l'argot
« biche-la-mar » que parlent les colons dans leurs rapports avec
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 159
chables. Les chefs ont revêtu leur costume
de grand gala : habits noirs, képis galonnés.
Nous entrons de suite dans le temple. Cette
fois, plus que partout ailleurs, le temple est
plein et déborde. C'est que Monéo a réuni ses
cinq annexes..
Nata Waïna, petit de taille, timide : il est
d'Ouvéa.
Chef François, trois galons. Jeune encore,
parle un peu le français. Il est grand chef.
Kanéné parle le premier. Waïna traduit
très aisément (il est arrivé à Houaïlou en fé-
vrier 1897, avec Mathaia).
Les têtes sont ici très crépues. Le chant
est bon, mais les finales sont épouvantables :
impossible de terminer en mesure.
Après le culte, je visite le village. On m'en-
tretient longuement d'un colon qui, dit-on,
est injuste à leur égard. Il faut calmer ces
pauvres gens et leur rappeler que « je n'ai pas
été établi pour juge de leurs héritages. »
les indigènes. Le « biche-la-mar » est 1< « hété-
roclite de canaque, d'anglais, de frança " •■»
peut imaginer.
160 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Je suis bien las et c'est en vain que je cher-
che un peu de repos : on me déniche toujours.
Voici la prière du soir, sous les grands co-
cotiers ; on est groupé par âge autour des feux.
L'indigène étant fort peu occupé et aimant la
vie en commun, ce culte du soir est tout ce
qu'il y a de plus facile à organiser : quelques
chants, une lecture très courte, une prière et
la soirée se prolonge en conversations, dans
l'atmosphère torride, sous un ciel étoile.
C'est saisissant, poétique.
Je parle. On écoute très attentivement.
C'est la vraie vie missionnaire, cela.
Et me voici dans la case noircie qui, pour
une nuit, sera l'étape.
3 heures du matin.
Après des efforts désespérés pour arriver
au sommeil, je dois m'avouer vaincu. La natte
sur laquelle je suis étendu, les moustiques,
les mille petites bètes qui habitent une casç
indigène... c'en est assez.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 16t
Du reste, les indigènes ont chanté jusqu'à
1 heure et demie. Dans la case des femmes,
j'ai entendu longtemps encore des conversa-
tions ; puis les chiens sont venus rôder dans la
case, à la recherche des os du repas...
Maintenant tout s'est tu. Seul, le vol lourd
des roussettes 1 , un bruissement de feuilles
de bananiers et, de temps à autre, quelques
gouttes de pluie sur le chaume de la case.
Je veux penser à eux — eux qui dorment
dans les cases, là, à quelques pas de moi :
chefs et sujets, petits et grands.
Quelle est, dans leur pensée rudimentaire,
l'idée qu'ils se font de Dieu? Quels sont leurs
sentiments intimes : prières, angoisses, con-
solations, motifs d'espérance ?
Y a-t-il la foi vraie ? ou le « schibolet » ré-
pété machinalement, comme une formule de
1 La roussette est l'nninial — j'allais dire l'oiseau — calédo-
nien par excellence. Chauve-souris gigantesque, elle dort le jour
et sort à la tombée de la nuit. Les Canaques sont très friands
de la chair de la roussette et se font toutes sortes de petites
choses (colliers, frondes, bracelets, « manous m même) avec son
ioil court et soyeux.
162 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
« tabou »? Y a-t-il un lien qui unisse leur
pauvre âme, demi-obscure encore, à la réa-
lité vraie, à Dieu, au Christ, à l'Evangile éter-
nellement vivant ?
Qui répondra? qui pourrait se glisser
assez furtivement sous leurs couches de ténè-
bres pour n'éveiller aucune mise en garde,
et saisir la réalité, l'instantané vrai?...
Et pourtant une chose demeure — car
c'est par les faits seuls que nous pouvons ju-
ger et déduire une appréciation : cette
chose, ce miracle c'est leur abstention abso-
lue de tout alcool 1 . Pourtant quelques-uns
étaient de terribles buveurs. Cela se voit sur
leur mine hébétée, dans les rides du front,
au rictus des lèvres. On me les a cités pour
d'anciens ivrognes.
Ils ne boivent plus...
Qui a fait ce miracle?
1 Je ne puis exactement me représenter comment cette idée
leur est venue, mais voici la formule courante : « 11 est protes-
tant — il ne boit pas ». C'est logique pour eux : comme un
bananier produit des bananes, un protestant est un homme
sobre. Comme j'en étais fier — mais non pas, hélas, sans arrière-
pensée !
ë
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 163
Les natas ? Hélas ! ils sont une goutte
d'eau, ils sont une feuille agitée par le vent,
ils sont timides à l'excès, pauvres en connais-
sances et faibles dans la foi.
Mais qui donc alors a fait ce miracle ?
L'amour de Dieu. C'est là le lien qui unit
ces pauvres âmes à la Vie, la seule chose qui
leur donne une valeur éternelle et absolue...
Dieu les aime.
Après cela, mettons l'humble travail des
natas, leurs prières, leur obéissance simple au
devoir entrevu.
Quant aux indigènes, ils ont eu assez de
confiance aux natas pour les écouter, pour
les recevoir et partager avec eux leurs terres
et leurs récoltes. Alors les natas ont parlé,
ils ont « dit l'Evangile », ils ont semé comme
ils pouvaient et savaient...
Dieu a donné l'accroissement.
L'œuvre est donc commencée ; elle n'est pas
faite. La porte est seulement entrouverte : il
it entrer.
164 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Il sera important et décisif, ce premier tra-
vail dans des âmes qui s'ouvrent.
Et pourtant, il est simple, me semble-t-il,
divinement simple, comme tout ce qui vient
d'En-Haut : donner de la lumière.
« Je suis la lumière du monde ». Donner
Jésus, c'est le faire connaître en faisant con-
naître l'Evangile. En imprégner les conscien-
ces et les cœurs, non pas tant comme une
doctrine que commeune/)ww5^c^. Un Christ
lumineux, vivant et puissant.
Oh ! comme il serait aisé maintenant de
s'en tenir là, de se contenter de quelques
règles et même de quelques résultats visibles !
Combien facilement nous pourrions organi-
ser cette piété toute négative, avec quelques
bonnes petites lois, avec quelques principes
de morale, une liturgie, un règlement !.. Et
ce serait la paralysie de ce corps de nouveau-
né.
Non, ce que nous voulons, ce que je
désire de toute mon âme, ce que j'appelle
de mes prières, ce qui sera probablement
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 165
difficile et peut-être... (non, je ne veux pas
écrire le mot impossible) ce sera de donner
tout l'Evangile à ces âmes en les maintenant
face à face avec l'idéal chrétien.
Canaques, c'est vrai, ils le sont, mais
est-ce une raison pour ne pas croire !
« O Dieu, aide-nous dans notre incrédu-
lité ! »
Jeudi 7 septembre.
Mou(ou Mhu), à 40 kilomètres de Houaïlou,
à 5 kilomètres de Ponérihouen.
Partis de Monéo à 5 heures 1/2. Arrivés à
Mou à 7 heures 3/4 (mais en passant par le
raccourci du bord de la mer, qui est, pa-
rait-il, plus court que la route de Ponérihouen.
Le sentier suit le bord de la mer ; si le so-
leil n'est pas trop ardent, la course est intéres-
sante. Sicas superbes.
Mou est au bord de la mer. Terre extrême-
ment fertile, végétation magnifique.
itaWaibo. Marié, 3 enfants. Il est d'Ouvéa.
sptembre 1898. C'est lui qui
u
166 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
a commencé l'œuvre ici. Petit de taille, figure
régulière et jolie.
Chaou (ou Saou) — nom de baptême: Salo-
mon — c'est le chef. Il a fort bonne mine.
Il aime beaucoup son nata.
La case du nata dénote un homme d'ordre
et intelligent.
L'Eglise compte déjà vingt-cinq membres.
Je me demande si l'on n'a pas été un peu
trop vite en fait d'admission au baptême. Je
crains qu'il n'y ait eu de l'entraînement sans
conviction.
Le temple est une vieille cuisine. Je donne
l'ordre de commencer à élever autre chose de
plus convenable.
Ici les vêtements sont irréprochables et dé-
notent une certaine aisance. Les indigènes,
, paraît-il, ont renoncé à vendre leur coprah
, aux libérés et le livrent directement au com-
' merce, ce qui leur rapporte beaucoup, car
• sur cette côte, les cocotiers sont légions et
très productifs.
Le chef me traduit pendant le culte. Le
EN NOUVELLE-CALEDONIE
167
nata ne sait que peu de chose de la langue
du pays. C'est un nouveau dialecte. Ponéri-
houen (5 kilomètres) et Baï (20 kilomètres)
parlent la même langue.
Mais il faut penser au retour. La route sera
longue : 40 kilomètres. Partis à 11 heures,
nous n'arrivons xju'à 4 heures à Houaïlou.
Sans arrêt, je vais reconduire le cheval à
M. G... et prendre congé.
Voici le soir. Repos désiré et, je crois, bien
mérité.
XI
DERNIÈRE JOURNÉE A HOUAILOU
Houaïlou Vendredi 8 septembre.
C'est ma dernière journée. Je suis un peu
anxieux : pourrais-je terminer mon tra-
vail? Je mets mes affaires en ordre avant de
sortir, valise et paquets...
S heures.
Je me rends à la tribu. C'est comme
un jour de fête. Il arrive des indigènes de
artout. Les natas sont là au grand complet,
femmes et enfants.
170 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Noël, le chef de Ni, est là. Le petit chef
de Newa également.
Je photographie plusieurs groupes. Les
enfants des natas me chantent en Lifou,
puis en Ouvéa. C'est si gentil, si original, ce
groupe de petits gamins, garçons et fillettes,
qui, loin du sol natal, entonnent les chants
du pays. Aussi je les en récompense par
quelques friandises que j'ai eu la bonne idée
d'apporter.
Mais le temps est précieux, vite à l'ouvrage.
D'abord, une conférence avec les natas.
Je résume : Ma joie de les voir. — Gloire
à Dieu pour le travail accompli. — Mais
c'est un simple commencement. — 11 faut
continuer : Avec Dieu, c'est la grande chose.
Je leur ai fait les recommandations sui-
vantes :
— Compter en français, et non uluaeu an-
glais, comme chez eux, aux Loyj
— Lépreux : les placer \\ |É
temple.
53
3
Ç
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 173
— Temples : il faut qu'ils soient vastes,
bien aérés, jolis si possible (Celui de Nécha-
koya est un modèle à imiter.)
— Coiffure : ne pas imiter les Lifou, qui
portent sur le côté de la tête une longue mè-
che de cheveux. Que les hommes se coupent
les cheveux, que les femmes les portent
longs *. Toilette : propreté.
— Chants : c'est bien, mais les finales lais-
sent à désirer. Chanter beaucoup.
— Baptême : ne pas se hâter. Attendre
souvent plusieurs mois pour s'assurer de la
sincérité des sentiments. Regarder à la vie
plus qu'aux paroles.
— Pas d'idole, pas d'alcool, une seule fem-
me. Du reste, j'enverrai une règle générale et
des conseils — en attendant le mission-
naire.
— Pour ce qui concerne les natas et leur
famille : pas d'alcool chez eux et, quant au
catholiques, tant aux Loyalty qu'en Grar.de-
les loin mes indigènes aient les cheveux
ainsi défigurée et sans aucun charme : elle
174 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
tabac 1 , liberté à chacun. Cependant, il vau-
drait mieux qu'ils ne fument pas, à l'exem-
ple de leurs collègues de la côte Ouest.
— Quelques femmes indigènes continuent
à fumer, même après leur conversion et leur
baptême; désapprouver cela 2 ; que les natas
avertissent à ce sujet leurs auditeurs.
Où faut-il envoyer des natas? — Réponses :
1° 37 (chef Noël).
Depuis très longtemps, un nata y est de-
mandé. La tribu est importante, entourée de
quatre autres villages. Deux familles sont
catholiques. Le «Père» de Bourail y va quel-
quefois. Cependant il y a peu d'enfants.
37 est à 44 kilomètres de Houaïlou, sur la
la route de Bourail.
2° Gondé (chef Baptiste).
1 Voy. ci-dessus, p. 122. La plupart des natas de la côte Est
fument.
- C'est une question épineuse que celle-là, et non pas aussi
simple qu'elle peut paraître au premier abord. La femme indi-
gène, en Calédonie, a la pipe constamment aux lèvres ou dans un
trou fait au lobe de l'oreille. Cela 1 enlaidit, l'abrutit... Mais ce
qui a pu se faire pour les hommes quant à l'alcool, peut aussi
se faire pour des femmes au sujet du tabac. Il y faudra de
la sagesse, de la fermeté... et du temps.
à
3
r^
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 177
A 25 kilomètres de Houaïlou, toujours sur la
route de Bourail. 50 adhérents et 6 membres
d'église (Gondéest une annexe de Néchakoya.)
Tous les natas consultés ( y compris Ja-
cobo) conseillent l'envoi d'un nata à Gondé.
3° Tiparama (chef Doui).
30 kilomètres de Mou, sur la route de
Ponérihouen à Wagap.
Un « Père » réside à Wagap ; cependant il
n'y a pas de catholiques à Tiparama. La
tribu est, dit-on, très grande et entourée de
plusieurs autres.
La demande du chef date de février 1899.
4° Bal ou Baye (chef Apoa).
22 kilomètres de Mou, au bord de la mer.
Plusieurs autres villages canaques.
Il y a une petite église, en « torchis » et
paille ; le « Père » de Wagap y vient quelque-
fois. Quelques catholiques. Demande du chef,
en février 1899.
5° Newa.
15 kilomètres au sud-ouest de Newawa,
dans l'intérieur.
178 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Zikoziko raconte, à ce sujet, un fait intéres-
sant. Un homme, baptisé par le nata Hohane,
à Nediwa, est allé s'établir à Newa. Il y a tra-
vaillé pour Christ — par sa vie et ses paro-
les — et, dernièrement, il amenait à Zikoziko
un autre homme pour être baptisé.
6° Les natas ajoutent qu'ils ont entendu dire
qu'à Tou/w les tribus désireraient aussi des
natas. Mais il n'y a pas eu de demande posi-
tive.
Il est évident qu'il faudra un jour s'avancer
dans cette région, où les tribus sont nom-
breuses, mais ...c'est aussi une citadelle des
« Pères. »La lutte sera rude. Cependant, si les
tribus appellent, il n'y aura pas à hésiter.
Quels sont ceux de leurs jeunes hommes
qui pourraient et désireraient devenir élèves-
natas ? Y a t-il des vocations parmi leurs nou-
veaux convertis ?
Sept me sont signalés — mais je retiens
ici le nom de l'un d'eux, Luca.
Il est de la tribu de Néchakoya ; il a 28 am
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 179
il est marié et père de deux enfants. Je le
fais appeler et m'entretiens avec lui. Nous
verrons plus tard si je puis le faire venir à
Mare, auprès de moi.
C'est au tour des natas à parler :
— Ils me remercient. Personne ne s'occu-
pait d'eux. Par mon intermédiaire, ils ont reçu
quelques secours 1 . Autrefois, ils ne recevaient
rien.
— Ils désireraient un assortiment d'outils
pour la construction de leurs temples. Ils se
les passeraient les uns aux autres. C'est à
étudier.
— Ils désireraient aussi un petit bateau
pour faciliter leurs rapports et leur œuvre.
C'est impossible maintenant. J'en écrirai à
Lifou.
Question de; traduction de l'Kvangile :
Hb foi», ili i*rti !< < u <J<<» nfcouv* en urgent et en nu-
.. pjirut -I «'ux, je leur ni remitt ù chacun 25 kg.
JUmv U'* l^jfli-»eh *J« Lifou ont envoyé [M fr. h chu-
180 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Mathaia { avaitcommencé à traduire l'Evan-
gile selon Saint Mathieu. Il est arrivé au cha-
pitre XIV, v. 2 ; puis Dieu Ta rappelé.
Cette traduction est entre les mains du nata
de Houaïlou.
Après un rapide examen, je crois que la tra-
duction a été faite en phonétique de Lifou.
Elle devrait être revue.
Il faudrait adopter une orthographe et for-
mer un lexique.
Grosse question !
Je prends mon repas à la tribu.
Viennent ensuite les entretiens particuliers
avec les natas. Ce sont des questions spéciales
d'organisation, ce sont des plaintes...
Je ne retiens ici qu'une seule de ces plain-
tes, assez caractéristique:
Le nata Jeimes, assez nouvellement dé-
1 Un héros, celui-là. Seul, il a comit cm L'u'uvri* à Houn'îlou ;
seul, il a posé les fondements de toutr - *■>•■■ J ''<>-> - m.* jasantes. Jl
avait une influence extraordinaire sur Ut ilij
commencé une traduction de l'Evangile r 1
activité. Il repose là, à Houaïlou. Qu»' î lion i
natas comme lui ! A lui seul, il avait 1 '»clil
presque un missionnaire par l'autorité, il I
zMe. C'est un nom à ne pas oublie
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 181
barque — et qui n'a pas eu, par conséquent, le
temps nécessaire à des plantations — se plaint
de ce que « il a généralement faim le diman-
che soir. » Et je m'explique le fait ainsi : les
jours de semaine, il va journellement chercher
sa nourriture dans la brousse et il y a toujours
assez... Mais le samedi doit pourvoir à deux
jours. Seulement — à la façon indigène — il
mange tout ce qu'il a le samedi et, le dimanche
soir, les tiraillements de la faim se font sentir!
Je le plaisante un peu et lui conseille de
planter beaucoup d'ignames pour la nouvelle
année; mais je demeure pensif en réfléchis-
sant à tout ce qu'elle contient de tragique,
cette simple phrase du nata Jeimes :
a J'ai faim le dimanche soir *. »
D'autres viennent m'expliquer que le ter- / [ ^ -^K
rain de leur tribu a été vendu en grande par- j » N $}
tie 2 pour des concessions aux colons. C'est l \
1 J'ai demandé aux Églises de Lifou de faire ce que les Églises
<ie Mare ont fait par trois fois pour les natas de la côte Ouest :
>
,V
-envoyer des ignames.
L indigène, comme les Orientaux, a une tendance à l'exagé-
ion. 11 faut toujours, à leurs discours, couper un long mor-
12
,\* 182 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
V
». ; toujours la même plainte. Elle a du vrai, sans
^ être absolument exacte. J'en parlerai au gou-
verneur.
Enfin, voici les dernières heures.
Je groupe tout mon monde pour un culte
d'adieu.
Les enfants arrivent en chantant. Le temple
se remplit : 200 ou 250 personnes. Il y a des
représentants de toutes les tribus voisines.
Quelques-uns sont venus de 40 kilomètres.
Je parle sur « Jésus le chemin du ciel. »
Au revoir — peut-être au ciel.
Kanéné parle aussi. Joané traduit avec une
très grande aisance.
Il faudrait se séparer maintenant : il est
4 heures. Mais nous ne nous séparerons pas
sans avoir ensemble communié. C'est là le
ciment des âmes.
Les natas et leurs femmes seulement. Mo-
ment de grand sérieux : une véritable émo-
< eau. Le gouverneur m'a assuré que tous les indigènes dont le»
terres avaient été délimitées, avaient au moins trois hectares par
tète.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 185
tion étreint leurs cœurs. Je suis aussi ému.
« Une grande grAce reposait sur eux tous. »
Cette parole des Actes des apôtres, je la leur
applique comme mon vœu pour eux et mon
adieu.
Distribution de la Cène par les deux plus
vieux natas...
Et nous nous sommes séparé»*...
Ce coin de Ilouaïlou gardera désormais une
partie de mon cœur.
J'avais quelques paquets assez lourds, la
distance était longue par terre (72 kil.). M. G.
m'assurait que le meilleur parti h prendre
était de me rendre par mer h Canala. Il met-
tait sa baleinière h ma disposition... et j'ac-
ceptai.
La nuit tombe, il faut transporter dans la
baleinière toutes mes affaires, manger A la
hAte, régler mes comptes A l'hôtel... Il est
7 heures.
Toute une foule de braves gens de la tribu,
Lgt leurs femmes, nous crient de la
186 KN NOUVELLB-CALKDOXIE
rive: « Haeked, haëked » (adieu), et nous ré-
répondons : ce Aïcadawene » (au revoir).
— « Kgewa » (oui, au revoir).
La nuit n'est pas très sombre, le temps est
calme, le vent faible.
A la garde de Dieu !
*****
XII
KOUA
Koua Samedi 9 septembre 3 h. après-midi
Il faut ici que j'écrive ce dont mon cœur
est plein — un mot prononcé bien des
fois dans ma vie et que j'oublie toujours :
« Mon âme, bénis l'Eternel! Et n'oublie
aucun de ses bienfaits. »
Je désirerais élever, comme Jacob, ma
pierrede reconnaissance. Dieu m'agardé mer-
veilleusement — et ceux qui étaient avec moi.
Mais je raconte-
Partis hier
eu une
nous avons
188 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Au petit jour, nous apercevions la baie de
Canala ; mais le vent nous avait poussés au
large — bien que toujours h l'intérieur de la
ceinture de récifs.
Alors j'ordonne de baisser la voile et de
prendre les rames. Nous allons ainsi, sans
avancer beaucoup toutefois, car les vagues
nous sont contraires.
Chose extraordinaire : à ce moment là, les
vagues étaient fortes et le vent presque nul.
Nous voici à 9 heures 1/2 ou 10 heures. Tout à
coup, le vent s'élève du large ; il est violent.
Il y aurait imprudence à vouloir continuer sur
Canala: nous serions roulés par les vagues fu-
rieuses.
Demi-tour donc, vent arrière.
Nous ne laissons que la toute petite voile
d'avant, mais deux fois la corde se brise...
Je suis étendu sur la paillasse, un peu à
l'arrière. L'estomac me fait horriblement mal.
Notre baleinière est une coquille de
monte, descend, disparaît, embarque
lame. Un homme vide l'eau constami
EN NOUVELLE-CALEDONIE 189
« Où aborderons-nous? » c'est la question
que j'adresse à l'indigène qui tient la barre.
— « Où on pourra ! »
La réponse était exacte, rude, brutalement
vraie.
J'avoue que j'étais peu apte à la réflexion,
malade comme je l'étais ; et pourtant j'ai pu
réfléchir, envisager la situation, me confier
même... « O Dieu ! aide-moi dans ma petite
foi ! ».
Et je pensais toutefois à mon œuvre in-
terrompue, à cette mission d'enquête dont le
fruit serait perdu, à mes photographies...
douchées à chaque instant par les paquets
d'eau.
« Où on pourra » — et la réponse me cin-
glait de sa réalité tragique... J'interrogeais
cette côte lointaine où je ne voyais pas une
anse, pas un refuge, mais des falaises abrup-
tes, une ligne blanche d'écume...
Pourtant Dieu était là. Je n'ai pas eu de
:, je n'ai pas eu de crainte, j'ai pu croire
ît.
190 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Nous approchons : la côte n'est plus qu'à
un mille sans doute. Les hommes quittent
leurs vêtements, prêts à toute éventualité; on
ne jette plus l'eau de la baleinière, il y en a
trop maintenant.
J'essaie de me lever. Je me cramponne au
mât, à l'avant. Les vagues roulent plus fu-
rieuses, se creusent profondément maintenant
qu'il y a moins de fond.
O bonheur! j'aperçois une ligne de sable,
quelques cocotiers. Quelle délivrance déjà!
Enfin je puis distinguer assez pour voir
l'embouchure d'une petite rivière. Je fais
signe à l'homme qui se tient au gouvernail :
« Barre à gauche. »
La barque obéit, mais les vagues sont épou-
vantables à l'entrée de la rivière. Quatre
hommes se jettent à l'eau.
« Barre à gauche, à gauche ! » Une grande
vague blanche d'écume... c'est la dernière,
elle meurt sur le sable... Nous ii^i sur la
rivière calme. Sauvés !
Sur la rive, une cabane
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 191
nous réunissons là, à l'abri du vent et mes
hommes et moi, agenouillés sur le sable, nous
essayons de balbutier le « merci » qui est
dans tous nos cœurs.
« Mon âme, bénis l'Eternel ! ».
Nous étendons au soleil nos vêtements
trempés : peu de choses ont été gâtées,
somme toute : peut-être quelques-unes de
mes photographies ont-elles souffert.
On vide la barque. Il est 11 heures et 1/2.
Nous avons rebroussé chemin de 10 milles
environ, et cela dans l'espace d'une heure et
demie.
J'écris dans une maison hospitalière, ins-
tallé sous la vérandah. Le vent fait rage, la
mer mugit sourdement. Cependant le ciel est
bleu; je pense à la bonté dont Dieu a usé
envers nous, je pense à ma famille, à mon
œuvre... et il y a aussi du bleu dans mon
cœur.
Dimanche matin, 10 septembre.
Koua est une propriété de l'importante so-
192 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
ciété minière « Le Nickel ». Mais ce n'est pas
ici une exploitation de mine, c'est une mai-
son d'agrément pour les directeurs de la so-
ciété, en même temps qu'une ferme d'ap-
provisionnement, avec « station » pour l'éle-
vage du bétail.
Le site n'a rien de remarquable, mais la
vallée est gracieuse et agréable.
Nous sommes à 30 kilomètres de Houaïlou
et à 30 kilomètres de Kouaoua.
Je jouis beaucoup de ce repos forcé après
les jours de surmenage de cette dernière se-
maine.
Le vent fait rage toujours.
Dimanche soir.
Ce matin, vers 9 heures, j'ai réuni les hom-
mes de Lifou qui travaillent sur la propriété,
pour un culte en plein air. Ils étai
Thio, ils sont 146).
Chants en Lifou. Kanéné me
Ce culte dans la forêt
réunions en plein air dans
EN NOUVELLE-CALEDONIE
193
de la France, dans nos Cévennes en par-
ticulier.
J'ai beaucoup joui de cette matinée.
Après-midi. Je prends quelques photogra-
phies . Causeries, lectures.
Nous partirons cette nuit, si le vent s'apaise.
M. et M rae L. ne veulent rien recevoir pour
leur hospitalité. C'est vraiment touchant.
.^ï
vj
XIII
CANALA ET NAKÉTY
Canala. Lundi H septembre.
Voici une longue journée terminée. Je
dis longue, car elle commençait déjà
hier soir, à 1 1 heures et demie, par notre
départ de Koua.
Le temps était calme. Nous avons été d'une
grande prudence et mes hommes ont fait
force de rames pour arriver au jour dans la
haie de Canala. En effet, dès 6 heures, nous
étions à l'abri. Nous avons déjeuné a terre 1 ,
sur le rivage.
ié ce coin de rivage avec mes hommes
te). Karéné est seul, à gauche; Maraba
^upe, son grand chapeau posé crâne-
13
198 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Une dizaine de requins sont passés près
de notre embarcation. Ils allaient en file in-
dienne, le dos au soleil, comme des flâ-
neurs. Nous avons aussi aperçu une tortue de
grande taille.
La baie est très profonde, encadrée de
montagnes vertes : on dirait un lac.
A 10 h. 1/2, nous arrivions à Canala. On
débarque au bout d'un chenal, à deux pas du
village.
Le mot village est peut-être un peu bles-
sant pour la jolie agglomération de maisons
européennes, perdues au milieu de la ver-
dure et étagées sur la pente d'une colline. La
flèche de l'église catholique émerge d'un
fouillis de verdure ; le poste militaire veille au
sommet du mamelon.
C'est ce que j'ai vu de mieux parmi les
centres visités 1 .
Un poste militaire, une gendarmerie, un
1 Bourail est, paraît-il, plus important, mais moins agréable.
200 EN NOUVELLE-CALEDONIE
administrateur 1 , une commission municipale,
une école, — et même un instituteur indi-
gène pour les enfants de la tribu 2 . Je des-
cends à Thôtel Janniard : Ton y est très bien
et le prix n'a rien d'exagéré.
Je renvoie après le dîner mes cinq hom-
mes d'équipage et j'écris une lettre au nata
Ipézé, à Nakety.
Je fais quelques visites obligatoires ou
réputées telles : l'administrateur, M. Mossa-
kowsky, M. M., M. A., gérant des postes,
protestant.
J'ai un long entretien avec l'administra-
teur. Il a son franc-parler, et nous finis-
sons par nons entendre sur plusieurs points.
Il insiste, lui aussi, sur la question du fran-
çais pour les natas.
Il me dit que les « Pères » sont détestés
1 Cet administrateur, qui relève directement du chef-lieu, est
chargé de la surveillance et de la direction des affaires indigè-
nes pour toute la côte Est.
2 C'est la seule école indigène en Nouvelle-Calédonie, (je ne
parle pas des écoles de la Mission catholique).
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 201
des colons. En voici la raison : Les Pères
monopolisent le travail indigène et les pro-
duits indigènes. Tout doit passer par « la
Mission » et aboutir à « la Mission. »
Je lui pose la question : ce Qui travaille le
plus, des protestants, des catholiques, ou
des païens ?
— L'indigène païen.
— Comment ! lui dis-je, les protestants
sont vêtus convenablement : d'où leur vient
donc l'argent ?
— Ah ! mais c'est qu'ils travaillent pour j
eux. Coprah, maïs, ignames, ils vendent leurs j
produits. Tandis que le païen travaille chez
le colon, en vue de l'achat d'un objet qu'il
désire ou d'une passion qu'il veut satisfaire. »
La première de ces passions, c'est l'alcool.
Il arrive même quelquefois que le salaire
est donné sous forme de tafia.
l/nlruulisme! rVnprès l'opinion de M. M.,
Ll>e ut-être, chez certains indi-
. retour à ta boisson sous
srtatns blancs...
202 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Me voici seul encore dans ma chambre
d'un jour. .
Cette journée n'a pas été mal employée,
mais elle me pèse. Elle m'a «vidé)). Mon
âme est triste de toutes les banalités dites,
de cette parade, de ces visites, de ces for-
malités...
J'ouvre ma Bible au hasard, mais avec le
cœur désireux de trouver du repos :
« Heureux les pauvres en esprit...
» Heureux les affligés...
» Heureux les débonnaires... »
Ces paroles que Dieu me donne s'illumi-
nent de clartés soudaines. Il me semble les
bien comprendre... et pourtant je ne suis, ce
soir, parmi aucun de ces heureux dont parle
le Livre.
Nakety. Mardi, 12 septembre.
Voici une nouvelle chambre d'hôtel. Voici
une nouvelle soirée calme, pendant laquelle
j'essaierai de me recueillir.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 203
Nakety est un centre assez ancien mais
qui ne me semble pas en pleine prospérité.
Il y a pourtant de jolies installations (ainsi
l'hôtel Soenne, où je suis), une église catholi-
que flanquée de deux flèches, quelques
« stores 1 » ou magasins de brousse.
Il y a 11 kilomètres de Canala à Nakety.
J'ai fait la route à pied. Elle est agréable et
d'un bon entretien. Du sommet de la route,
au point appelé « Crève-Cœur », on a une
vue superbe sur les deux vallées.
La tribu est sur la gauche de la rivière, au
bout d'un sentier canaque.
Nata Ipèzé. Jolie tête régulière, intelli-
gente. Marié, deux enfants. Sa case est de
construction récente, propre et vaste.
Cette case a une petite histoire. Le nata
s'était rendu à Houaïlou pour une confé-
rence OM^nuollègues. L' Eglise se réunit
H (lécitl f* surprise à son mita...
iicinilin* île
pour tout
204 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Lorsque Ipézé arriva, il trouva une jolie
case terminée : elle était à lui.
Les indigènes m'attendaient et m'ont reçu
en grande pompe. On tire à mon approche
des « salves d'artillerie » avec un vieux fu-
sil. Les enfants chantent en groupe. Les indi-
gènes font le cercle autour d'un énorme tas
d'ignames, de cannes à sucre, de bananes ;
quelques malheureuses poules sont suspen-
dues au bout d'une perche : tout cela en mon
honneur.
Allons-y... c'est mon dernier triomphe.
Il faut écouter le petit discours du chef.
Il y a là quelque chose de très comique eV
pourtant beaucoup de solennité. Pendant ce
temps, les poules se débattent furieusement
et les chiens aboient. Je remercie en quel-
ques mots. Je vais me reposer dans la case
du nata.
Deux heures! c'est le culte. Le temple est
de dimensions moyennes.
L'auditoire me paraît assez intéressant. Il
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 207
y a quelques têtes relativement jolies. On
chante bien *.
Je parle, ainsi que Kanéné. Je remercie,
au nom de la Société des Missions, pour leur
collecte annuelle (140 fr. 85).
A la sortie du temple, je réunis les deux
diacres et le « nekonekatu 2 » (ou auxiliaire
du nata) pour causer avec eux.
Entretien intéressant.
L'œuvre remonte à de très longues an-
nées. On s'en aperçoit dès l'abord au fait
que les images du paganisme ont totalement
disparu du village. On ne voit plus ces troncs
de bois sculptés en figures grimaçantes,
ces masques de guerre, vestiges d'un passé
de ténèbres.
Voici ce que je puis saisir et comprendre
de l'histoire des commencements.
Il y avait eu tout d'abord des occasions
1 Une douzaine de cantiques Lifou ont été traduits dans la
langue du pays.
- Le « nekonekatu » est celui des membres de l'Eglise qui, en
l'absence du nata, est cbargé de le remplacer pour la prédica-
tion. Nekonekatu est un mot de Mare qui signifie aide.
208
EN NOUVELLE-CALEDONIE
de contact entre les hommes de la tribu de
Ouassé (au bord de la mer) et les Lifou.
Quelques hommes de la tribu avaient été
chercher leur femme à Lifou.
Un jour arrivèrent trois natas de Lifou et
un missionnaire anglais, M. Pratt (?), venant
des Samoa.
Pirogue indigène à Nakély
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 209
Ces trois natas étaient : Léanga, Wama-
chia et un nommé Isachéli, que Ton dut ren-
voyer pour inconduite. Du reste, le séjour des
autres fut de courte durée. L'hostilité était
générale, ils durent repartir.
Plus tard, un bateau chargé des élèves
natas de Lifou vint, par un mauvais temps,
se réfugier sur la côte calédonienne.
Nouvel appel des habitants de Ouassépour
obtenir un nata.
Un peu plus tard, arrivèrent les natas dé-
sirés; ils étaient cinq. Encore une fois, ils fu-
rent renvoyés. Il y eut des luttes entre cette
tribu et les tribus païennes des environs.
Plus tard encore, le nata Zeôwe (actuel-
lement à Chépénéhé, Lifou), vint passer
trois mois, organisa l'Eglise et nomma
deux diacres. Peu après, le nata actuel était
appelé.
Mais, de l'agglomération des trois petites
tribus du bord de la nier MllûU, Ouassr,
Guio), le nata transféra
diate à Sindéa ( près N?
210
EN NOUVELLE-CALEDONIE
aujourd'hui. Ici, l'œuvre n'avait pas été faite
et était urgente.
Du reste, il rayonne, de là, dans les locali-
tés du bord de la mer et se rend aussi à Mia x
(près Ganala).
Dans cette dernière tribu, le chef Gélépé
demande instamment un nata.
Les deux premiers diacres calédoniens
sont donc : François et Thuki, de Ouassé.
Le premier « nekonekatu » (auxiliaire, aide
du nata) est Malade, fils d'une mère Lifou et
d'un homme de Ouassé.
Ils m'ont l'air très sérieux tous trois. Je
suis ému en les contemplant. Ne sont-ils pas
les premiers diacres calédoniens, les pre-
miers serviteurs des églises calédoniennes
naissantes ?
A la tombée de la nuit, au moment où j'al-
lais me retirer, arrive un aveugle, le père du
diacre : « Missionnaire, dit-il, je ne te vois
1 Cette tribu se trouve sur la gauche de la route de Canala
à la Fou, à environ 1 heure ou 1 h. 1/2 de Canala.
9
^* ? .2
EN NOUVELLE-CALEDONIE
213
pas, mais j'ai entendu tes paroles. Tu as dit
qu'un missionnaire viendrait ici. Tu as dit
cela, n'est-ce pas ?... Moi, je suis un vieillard,
je suis un aveugle, un inutile : que peut
faire un aveugle ? Mais, entends bien mes
paroles, ô toi, mon missionnaire, je veux prier
tous les jours jusqu'à ce qu'arrive le mission-
naire dont tu nous as parlé. »
Dieu répondra à la prière de l'aveugle, le
vieux Canaque de Ouassé.
XIV
LA FIN DE L'ENQUÊTE
Mercredi, 13 septembre 1899.
Cette journée est la dernière, non pas
du voyage, mais de l'enquête dont j'ai
été chargé. Je dois donc inscrire ici mes der-
nières notes, résumer mes dernières impres-
sions.
De bonne heure, le matin, je me mets en
quête de quelques plaques photographiques
auprès d'amateurs qui m'ont été signalés.
^vc a f i kilomètres de Nakety, en
rivière.
httne maison en paille,
216 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
dans le désordre d'une brousse folle; des ta-
pis de prix, quelques beaux tableaux, des
meubles de luxe... Je ne m'attendais pas à
trouver, au fond de ce vallon si mélancolique,
une aussi extraordinaire fantaisie.
Je reviens à la tribu. Je prends quelques
vues.
On me remet 15 francs. Je dois acheter —
c'est bien peu! — un service de communion.
Mais ils se contenteront de ce que je pour-
rai trouver. A cette condition, je me rassure
et promets tout ce qu'on voudra.
Le nata désirerait un moniteur connais-
sant le français, en vue d'une école pour les
enfants de la tribu. Cela ne pourrait avoir
lieu que si le missionnaire exerçait une sur-
veillance sur ces écoles, et encore faudrait-
il avoir à sa disposition les moniteurs. C'est
une grosse question qui nous préoccupe
aussi à Mare.
II insiste encore pour l'envoi à Mia d'un
nata.
Mon impression est celle-ci : Le nata est
S
-ta
2
I
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 219
trop seul. L'œuvre se ressent de cet isole-
ment. Elle fait l'effet de manquer d'entrain,
de jeunesse. Il y a là une lacune. Envoyer un
renfort aussitôt que possible (visites fré-
quentes du missionnaire, lorsqu'il sera là).
Le nata paraît timide, hésitant : l'encourager,
le pousser à l'action.
Je voudrais maintenant qu'il me fût possi-
ble de dépeindre exactement les derniers ins-
tants passés au milieu de ces chers et braves
gens.
Je convoque une réunion d'adieu, pendant
laquelle je baptiserai le chef et sa femme.
Le nata agite une clochette de chèvre; là-
bas, devant le temple, le sonneur frappe à
tour de bras sur un tronc; de bois évidé...
Naturellement, personne ne va manquer :
l'attention sera très grande.
Je remarque dans l'auditoire beaucoup de
vieilles, très vieilles femmes. Le chef et sa
femme sont assis devant la petite table.
Je leur raconte très simplement le baptè
le l'eunuque par Philippe.
220 EN NOUVELLE-CALEDONIE
Je les interroge : « Croyez-vous aussi en
Jésus ? — De tout votre cœur ? — Voulez-
vous le servir ? — Renoncer au mal ?. . »
Sur leur réponse affirmative, je les baptise
et prie pour eux.
C'a été un moment très solennel. Pendant
que je priais, il y avait un très grand re-
cueillement — on eût entendu le moindre
bruit.
Oh! puisse ce couple vivre désormais d'une
vraie vie chrétienne ! Leur vie est, paraît-il
régulière ; aucun mal ne frappe les regards.
Mais il faut mieux : je l'ai demandé pour
eux *.
Je parlais, soit en français, soit en Mare.
Kanéné me traduisait en Lifou, le « nekone-
katu » en langue de la tribu... c'était bien un
peu lent !
Il faut partir. J'ai pris congé de Kanéné et
1 Hélas, une lettre récente du nata m'a appris qu'on avait
essayé de le tenter par l'alcool et qu'on y avait réussi. Pourtant
j'avais eu tant d'espoir à son égard ! Voilà un édifice construit
sur le sable — mais peut-être en restera- t-il quelque chose.
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 221
deMaraba qui me rejoindront à Nouméa par
le « Saint-Antoine. »
Je monte à cheval ; on m'entoure pour chan-
ter une dernière fois.
Et voici ce chant, tout improvisé puisque
le nata Ta composé cette nuit dernière.
« Hélas, ô notre père !
Voici, tu vas partir...
Attends encore,
Nous te dirons adieu.
» Hélas, ô notre père !
Ne nous verrons-nous plus ?
Oh, reviens encore,
Nou» te disons: au revoir.
» Hélas, ô notre père !
... Mais nous te verrons aux eieux.
Voici, ô notre père.
Nous te suivrons. .-I Dieu / »
... Je me suis éloigné sur le petit sentier
en zig-zag qui côtoie la rivière. J'entendais
encore par instant le chant d'adieu.
Et puis, tout s'est tu. J'étais seul.
fcrs ? tout ;ï coup, je V.u sentie terminée,
la pensée m'avait tout d'à-
222
EN NOUVELLE-CALEDONIE
bord tant pesé — et dans l'accomplissement
de laquelle j'ai eu pourtant de grandes joies.
Maintenant, il s'agira de rendre vivante et
fidèle l'impression reçue ; il faudra rester
dans le vrai et pourtant communiquer l'en-
thousiasme ressenti, raconter et convaincre.
Que le Seigneur, qui m'a aidé et conduit
jusqu'ici, me soit encore en aide !
XV
QUELQUES NOTES
SUR LE VOYAGE DE RETOUR
Mardi soir, 13 septembre. — Retour à Canala.
aimable réception chez M. A.
Jeudi li. — Départ à cheval t pour La Foa : 49
kilomètres. Voyage des plus agréables.
Sur la chaîne centrale, végétation splen-
dide — un vrai coin du Jura ! La Foa :
hôtel Couderc.
224 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Vendredi dô. — Départ à 3 h. du matin, en
voiture, pour Téremba. Attente pénible
tout le jour sur un îlot stérile et triste.
Le bateau n'arrive pas. Capture d'un
gros requin de 2 m 50.
Samedi d6. — Enfin, voici ce l'Active ». La mer
est mauvaise, les passagers légers et
frivoles. Oh, combien je préfère mes
pauvres Canaques, simples et ignorants!
— Arrivée à Nouméa à 8 heures.
Dimanche il. — Me voici de nouveau dans
la vie civilisée. Rien à dire de spécial.
Ecole du Dimanche. Culte. L'après-midi,
visite au chef Mindia, interné à 1' ce Or-
phelinat 1 ».
1 Chef Mindia, de Houaïlou. Alcoolique, sous le coup d'une
punition. Le Gouverneur avait eu la pensée de lui enlever son
autorité et son titre. J'ai demandé à le prendre avec moi à Mare
pour essayer d'avoir sur lui une influence décisive. Cela m'a été
accordé. Je suis satisfait de sa conduite. Il comprend mainte-
nant quel est pour lui le danger. Il me demande à signer un
engagement de tempérance. La photographie ci-contre, prise à
Mare, représente les trois Calédoniens ramenés de mon voyage :
au centre, le chef Mindia, de Houaïlou : à gauche, le jeune Ma-
raba, de Nediwa; à droite, Baptiste, de le tribu deKoné, tenant à
sa main mon petit Charles.
EN NOUVELLE-CALEDONIE
225
Lundi d8. — Visite à l'exposition locale. Vi-
sites diverses; j'ai l'occasion de m'entre-
tenir longuement avec le gouverneur.
226 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Mardi 19. — Courses et achats divers. Dé-
jeuner chez le gouverneur. Kanéné et
Maraba arrivent.
Mercredi 20. — Rapports, lettres. Dîner chez
le chef du Domaine et le chef du service
des Affaires indigènes.
Jeudi 21. — Aucun bateau pour Mare.
L'Exposition de Nouméa et la Fête du
24 septembre retiennent dans le port
tous les cotres indigènes qui font le ser-
vice des Loyalty. Impossible de partir.
— Correspondance. Lecture.
Vendredi 22. — Id.
Samedi 23. — Lettres diverses aux natas ca-
lédoniens et aux Eglises de Lifou.
Dimanche 24. — Je suis chargé de la prédi-
cation. — Service indigène à 2 heures. —
Fête de la colonie J .
Lundi 25. — Courses en ville. Lettre à Paris.
Mardi 26. — Préparatifs de départ. Derniè-
res visites.
1 Fête de In prise de possession de la Nouvjlle-Cnlédonie et
dépendances (24 sept. 1853).
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 227
Mercredi 27. — Départ pour Mare, sur La
France (vapeur des Nouvelles-Hébrides)
avec M me Stilling-Lengereau et ses cinq
enfants. Bonne traversée.
Jeudi matin, 28 septembre. — Heureuse ar-
rivée à Mare.
Maintenant, je dois clore ici la relation de
ce voyage. J'ai éprouvé de nouvelles joies à
me ressouvenir ainsi, page après page, de
tout le chemin parcouru.
Devant moi, pendant que je trace ces li-
gnes, une vision apparaît : c'est une réalité
et pourtant une fiction ; c'est une image, un
symbole.
Sur la muraille de mon cabinet de travail,
une carte de la Calédonie, et, au-dessus de
cette carte, une panoplie d'armes canaques
qui projettent leur ombre sinistre sur la pa-
roi. Mais, ici et là, quelques points blancs,
[ucls j'ai voulu fixer approximative-
îce où travaillent nos frères. Kn-
une lettre qui vient de là-bas
228 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
et dans laquelle on me dit : « Oh, demandez
un missionnaire pour nous ! »
... « Un missionnaire pour eux », ô Eglises
de France, un missionnaire pour vos frères
perdus !
Cette œuvre-là doit être un acte de foi,
de cette foi qui multiplie l'huile de la veuve
jusqu'à ce que tous les vases de la maison
soient remplis.
Cette œuvre doit amener le don d'une vo-
lonté — d'une volonté brisée devant Dieu et
inflexible aux suggestions humaines.
O Dieu, choisis, appelle, consacre, envoie
et bénis celui des serviteurs de Ta Maison
qui doit être le missionnaire pour eux.
Rô (Mare), Décembre 1899.
XVI
POST-SCRIPTUM
POUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Marc, 19 avril 1900.
— ce Passe en Macédoine et viens nous
secourir ! » (Act. xvi, 10).
Oh ! qui entendra cet appel ?
Entendre, ce n'est pas toujours compren-
dre... Qui comprendra ?
Comprendre, ce n'est pas encore obéir...
Qui répondra, qui se lèvera pour obéir ?
— « Nous comprîmes que Dieu nous appe-
lait. .. » ajoute simplement et logiquement
le livre des Actes.
Il y a en Fran ce pl us di* mille pasteurs,
tous occupés sans ûi , niais di>nt quelques-
uns ensemencent la ] inp où d'au-
232 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
très ont semé la veille... et cela tous les
jours, d'année en année.
Et, pendant ce temps, Dieu demande un
serviteur aux avant-postes, un !..
Ne veux-tu pas, mon frère et collègue, t'in-
terroger sérieusement devant Dieu et lui
dire : ce Seigneur, est-ce moi ! »
— Vingt catéchistes ou natas, quarante à
cinquante tribus Canaques qui s'éveillent et
désirent entendre l'Evangile, plus de 200
baptisés... un pays tout entier, un pays
français...
Les colons viennent par centaines, et toi,
serviteur de Dieu, tu calcules la dépense et
les sacrifices !
Je vois que, au budget de 1900, pour l'œu-
vre en Grande Terre, figure une somme de
500 fr. — le modeste bilan d'une saison de
bains de mer — un dîner offert chez un de
nos frères riches de Paris... et d'ailleurs, —
une somme insignifiante qu'on s'accorde pour
EN NOUVELLE-CALÉDONIE 233
un plaisir convoité et qu'on marchande à
Dieu.
Cinq cents francs ! Et comment, avec cela,
nourrir vingt familles de catéchistes, pourvoir
aux divers frais de voyage, de constructions
et d'installation ?
Aussi savez-vous ce qui arrive ? Voici la
quatrième femme, la quatrième mère de fa-
mille qui meurt, là-bas, parmi mes braves
natas, et je n'oserais pas affirmer que les pri-
vations endurées n'y soient pour rien.
Elle m'est parvenue hier soir, cette triste
nouvelle : « La femme du nata Sétine se
meurt »... et j'en ai ressenti une angoisse qui
m'étreint encore le cœur.
Nous n'avons pas le droit — entendez-vous
bien ? — nous n'avons pas le droit de laisser
les autres tout faire à notre place. L'œuvre de
Dieu ne se fait pas par procuration, mais par
consécration pcrmfi
« Muu
Ne rai
234 EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Ton amour les réclame
Ils sont, à toi, Jésus... »
Vous l'avez chanté, ce beau verset de can-
tique, mais après ?
Après... « Nous comprimes que Dieu nous
appelait. »
Œuvre de Mission protestante
EN NOUVELLE-CALÉDONIE
,7 districts et '2 ouvriers isolés
Gutope — Nata Drap.
I Ujo = » Mélémélé.
Koné --=■ » Waziarïm. 3
Tiéla = » Waya. 1
[ Témala ~ » Sétine. 2
' Gomen = Nata Nidoïch.
\ Païta = » Pi Ira.
) Koumac •= )) Uéde.
\ Néjama = » Washitine.
Poume. (Œuvre isolée) Nata Sétéfano. 3
[Voh
Koumac.
1 annexes. 2 adultes baptisés.
3 » 4 » »
Le nombre
des adhérents
(ou assistants
réguliers) est
très variable.
Impossible
pour le mo-
ment de le
fixer d'une fa-
çon précise.
llounïlou
-_
N
ata Jeimes.
1
annexe.
17 adult.
bap
. 88 audit, régul.
ou
adhérents
l Waraï
=
»
Joané.
o
»
G
»
18
»
l ] Bâa
=:
»
Harhén'.
2
»
14
»
147
»
ote est /Houaïlou.. Monéo
—
M
Waïna.
5
»
31
»
260
/ JMou
=r
»
Waïbo.
1
»
25
»
70
»
F Nédiwa
=
»
Hohane.
1
»
8
»
(?)
—
Néehakoïa
=
»
Jaoobo.
3
»
19
»
117
\ Newawa
=
»
Zikoziko.
1
»
12
(?)
»
(?)
—
Nakety-Sindéa (œuvre Uol
léc)
N
ata
Ipézé.
5
»
49
»
93
»
:sumé : 19 nataa - 19 centres
- 203 adultes baptia
793 adhérents «ht
a Ha ver h [>r#i
9 postes
Umfilt en paille el£#fi pour le nata — 31 annexes
! sur lu cAle Ouest — 181 sur la cote Est) —
HfehlJ d« 1" t'ûte Eut). Ce chiffre doft
|»t et m A ou 'i(m pour la côie Ouest, —
liiilcin^nt si 1 mii possédait de» nata s
côte Est).
B
Une parole traduite en HUIT langues
OU DIALECTES INDIGENES
« DIEU EST AMOUR » 1 Jean iv, 16.
Mare :
Thu era
so kei
Makaze.
amour
seul 1
Dieu
Lifou
=r
Akôtesieti
i la
ihnim.
Dieu
seui
1 amour
Ouvéa
Khong
thibi
betengi.
Dieu
seul
amour
Koné.
Ujo.
Gatope =
Vatoua
nia
Iles
Loyalty
kondjé Bafoukindjé.
amour seul pour nous Dieu
Koumac. Poume. Gomen. Palta (ces deux dernières tribus avec
de légères différences) ==
Kaladjalé Kaamak maïda nidan.
amour le Père là-haut aux cieux
Houallou et tous ses environs — jusqu'à Monéo =
M'bao shari kafimeari.
Dieu seul bon (ou amour)
Mou et les tribus au-delà du côté de Ponérihouen ■=.
Droué ka méari.
Dieu seul amour
Canala-Nakety-Thio = Rhô aeu aneureu.
Dieu seul amour
(i) * Seul » dans le sens de seulement ou absolument.
c
Un chant traduit en langue de KONÉ
(a Viens à Jésus, II t'appelle »)
I. Gae hame me hane hnei Jesu
Gae hame vuhnune
Vuhnune gae hame
Gae hame vuhnune.
II. Kome mulip, ko me mulip
Kome mulip vuhnune.
Vuhnune kome mulip
Kome mulip vuhnune.
III. Nyima lixrau, nyima lixrau
Nyima lixrau vuhnune
Vuhnune nyima lixrau
Nyima lixrau vuhnune.
CE MÊME CHANT TRADUIT EK LANGUE DE KOWïiaC
I. Kova orne, koi Jesu
Kova ome ena
Ena kova ome
Kova ome ena.
II. Me co malep, me co malep
Me co malep ena
Ena me co malep
Me co malep ena.
III. Naname ie, nananie ie
Naname ie ena
Ena naname ie
Naname ie ena.
D
Résumé de mes irais de voyage
DU 10 AOUT — 28 SEPTEMBRE 1899
Menus frais de voyages , bonne-mains , télégrammes ,
correspondance et divers Fr . . . 31 30
Frais de voyage (et ceux de Kanéné, nata, et Maraba
— ce dernier au voyage de retour) : Mare à Nouméa,
Nouméa dans l'intérieur de la colonie et retour à
Mare ; bateaux, chevaux, etc Fr. . . 4i2 45
Frais d'hôtel, chambre et nourriture, pour moi, Ka-
néné, Maraba — et l'équipage de Uouaïlou à
Canaki Fr. . . ik'2 35
Ensemble Fr. . . 592 10
(Pour le détail des chiffres ci-dessus, voir mes notes journa-
lières ; mais il est à remarquer qu'à maintes reprises des frais
m'ont été évités : aimable hospitalité de M. le pasteur Lenge-
reau — invitations chez des colons ou des fonctionnaires —
prêt d'un cheval à Houaïlou et à Ganala, — sans oublier l'accueil
toujours empressé de mes braves natas — et mes marches for-
cées... sans possibilité de dépense !)
TABLE
LISTE DES GRAVURES
Pages.
1 Panorama de Nouméa. — Vue prise du presbytère pro-
testant (côté gauche) 17
2 Les natas de Mare, en mai 1899 29
3 Les diacres de Mare, en mai 1899 39
4 Les élèves natas de Mare, en mai 1899 47
5 Panorama de Nouméa. — Vue prise du presbytère pro-
testant (côté droit) 57
6 Temple de Nouméa 61
7 Toupila, le chef de Gatope 87
8 Types calédoniens (tribu de Gatope) 91
9 A Koumac. Masques de guerre 109
10 Koumac. Groupe des nouveaux convertis baptisés 112
11 Filles du chef de Koumac 117
12 Dans la baie de Pam (vue prise du bateau) 129
13 Houaïlou 135
14 Houaïlou. Vue prise delà maison de l'Arrondissement. . 145
15 La grande case « pilou-pilou » à Bâa 153
16 Enfants de Baa 157
17 Avant le culte à Houaïlou 171
18 Les natas, ou namiètes, du district de Houaïlou 175
19 Les mêmes, avec leurs femmes et leurs enfants 183
240 TABLE DES MATIERES
20 Enfants païens, à Koua 193
21 A Canala. Le nata Kanéné et les hommes de l'équipage. 195
22 Le nata Ipézé, sa femme et ses enfants 205
23 Pirogue indigène, à Nakéty 208
24 A Nakéty: François, Thuki, Malade et enfants chrétiens. 211
25 Sindéa, près Nakéty. Une tribu protestante 217
26 A Mare. Mes trois Calédoniens 325
27 Sur la muraille de mon cabinet de travail 229
CARTES
1 Nouvelle-Calédonie (Frontispice) 6-7
2 Nouvelle-Calédonie et archipel des Loyalty 10
3 Nouvelle-Calédonie, îles Loyalty et nouvelles Hébrides.. 12
4 L'île de Mare 50
5 District de Voh 77
6 District de Ko u mac 105
7 District de Houaïlou 139
8 District de Nakéty 199
TABLE DES MATIÈRES
Introduction historique 9
I . Le départ 49
II . A Nouméa 59
III. En route vers la côte Ouest 65
IV. Koné et ses environs 75
V. Le District de Voh 83
VI. De Voh à Koumac 101
VII. A Koumac 109
VIII. De Koumac à Houaïlou 125
IX. Premier séjour à Houaïlou 133
TABLE DES MATIERES 241
X . Au nord de Houaïlou 151
XI . Dernière journée à Houaïlou 169
XII. Koua 187
XIII . Canala et Nakéty 197
XIV . La fin de l'enquête 215
XV . Quelques notes sur le voyage de retour 223
XVI . Post-scriptum : Pour la Nouvelle-Calédonie 231
PIÈCES ANNEXES
A. Tableau de l'œuvre de la mission j v .h'fhinV ni Nou-
velle-Calédonie 235
B. Une parole traduite en huit langues ou dialectes in-
digènes 236
C. Un chant traduit en langue de Koné 237
D. Résumé de mes frais de voyage 238
**B*+
CAHORS, IMPRIMERIE TYPOGRAPHIQUE A. COUESLANT